Dans sa livraison déjà datée de février la revue « Philosophie Magazine » s’interroge : « De quoi la gauche est-elle malade » ? L’article vedette y est constitué d’un entretien par échange de courriels avec un philosophe que, je l’avoue, je ne connaissais pas jusque-là en la personne de Jean-Claude Michéa. Désormais retiré dans une grande ferme du sud ouest cet ancien professeur de philosophie de Montpellier cultive l’intransigeance vis-à-vis de ces « intellectuels postmodernes de gauche » qu’il appelle à combattre. Après avoir publié une « Impasse Adam Smith » en 2002 et « L’Empire du moindre mal » en 2007, il vient de livrer « Notre ennemi le Capital ». (1)⇓
Le titre pourrait se suffire à lui-même. La thèse centrale est ainsi résumée : « Si l’on veut réellement rassembler la grande majorité des classes populaires autour d’un programme de déconstruction graduelle du système capitaliste – et non pas simplement accroître ses privilèges électoraux, – il faut impérativement commencer par remettre en question ce vieux système de clivages fondé sur la confiance aveugle dans l’idée de progrès »… Car, pense-t-il, ce que l’on considère comme le progrès, aujourd’hui, c’est le contraire de ce en quoi les gauchistes veulent croire.
Au moins, avec un tel penseur, les choses sont claires. Et le lecteur se retrouve en pays de connaissance pataugeant dans les thèses que vulgarise Benoît Hamon dans le cadre de cette assemblée générale de l’UNEF, prolongée pour ne pas dire tardive, télévisée ce 25 janvier, sous prétexte de débattre en vue du deuxième tour des primaires de la Belle alliance populaire.
En fait ce courant d’idées ne remet donc pas seulement en cause ce qu’on appelle la gauche de gouvernement. Comme dans la chanson de Renaud il n’aime pas le travail, la justice et l’armée.
Certains pensent peut-être le problème entièrement nouveau. Déjà en 1899 Rosa Luxembourg concluait un article sur le cas Millerand : « L’entrée des socialistes dans un gouvernement bourgeois n’est pas comme on le croit, une conquête partielle de l’État bourgeois par les socialistes, mais une conquête partielle du parti socialiste par l’État bourgeois. » (2)⇓
Elle répondait à deux articles de Jaurès dans La Petite République.
Ne disons pas que Benoît Hamon n’innove en rien. Il promet par exemple « une police des discriminations »… Ce progrès-là il ne le démentira jamais.
Une légère contradiction semble lui avoir échappé à lui et aux commentateurs, rapporteurs, intervenants et autres radioteurs dont les références ont accablé le débat.
Dire que le travail irait en se raréfiant fait partie de la panoplie ordinaire des pseudo-futuristes. Cet étrange argument fait du travail sinon une denrée ou une matière première, une ressource minière en quelque sorte. Or, prétendre que le besoin de travail n’existerait plus cela revient à dire que nous serions dans la société d’abondance, ce que démentent chaque jour les informations en provenance des favelas, des bidonvilles ou du Sahel. M. Hamon ou ses supporteurs ont-ils entendu parler des personnes âgées en grande dépendance ? Ils ne manquent probablement eux-mêmes jamais de lait : savent-ils comment et à quelle heure des éleveurs laitiers ont la gentillesse de traire les vaches pour eux ?
Les besoins des hommes en biens et services à travers le monde sont encore immenses.
Les pseudo-futurisme de gauche pense y répondre par l’utilisation des robots. Mais pour y pourvoir avec des robots encore faudra-t-il concevoir, construire et commander ces robots. Il est vrai que sur ce terrain M. Hamon ne sera pas d’un grand secours.
JG Malliarakis
Apostilles
- Les trois volumes sont édités dans la collection Climats chez Flammarion. ⇑
- cf Cahiers de la Quinzaine, n° 11, 1899⇑