Le terme de « précarité » apparaît trop large pour qu’il puisse constituer une catégorie d’analyse commune aux saisonniers agricoles et aux artistes du spectacle ; d’autant que les mots « précaire » et « précarité » ont une longue histoire et ont fini par recouvrir une autre signification : « Depuis son étymologie qui lui prête la même origine que prière, le latin precarius, le mot précaire a connu de multiples acceptions, tantôt adjectif tantôt substantif, attaché tantôt au vocabulaire courant, tantôt au droit […]. On sait que derrière la vieille idée d’une chose obtenue par la prière l’acception moderne de précarité renvoie principalement à ce dont l’avenir, la durée, la solidité n’est pas assurée, à ce qui est instable et incertain, à ce qui est court, fugace ou fugitif, voire à ce qui est délicat et fragile. ». La signification contemporaine de la précarité nous amène à une troisième acceptation : l’emploi précaire. En effet, si ce qui est « précaire » est ce qui est incertain, fragile ou court, ce qui ne l’est pas est donc ce qui est stable, solide, long ou indéterminé. Cela rappelle que le sens qu’a fini par prendre la précarité est lié au développement du salariat et, plus précisément, de la norme d’emploi du contrat à durée indéterminé (CDI) à temps plein. L’essor des « formes d’emploi dites “atypiques”, “nouvelles” ou “particulières” ne peut se comprendre qu’en liaison avec la généralisation du salariat », lequel regroupe 88,5% de la population active en 2015 , contre 47% en 1911. Cette généralisation du salariat s’est notamment effectuée à la suite de l’industrialisation, puis de la tertiarisation de l’économie et de la croissance de la population active féminine. Elle s’est construite autour du CDI à temps plein, dont la part dans la population active s’est accrue continument durant la seconde moitié du 20ème siècle, de 60% en 1954 à 72% en 1975. À partir des années 1970, cette dynamique s’interrompt. La part du CDI à temps complet dans la population active suit un mouvement inverse : il passe à 61% en 1990, et à 59% en 2003. Le chômage augmente, les emplois précaires s’institutionnalisent et se développent. En décembre 2015, 12,3% des emplois sont « précaires » contrat à durée déterminée (CDD) (7%), intérim (2,1%), contrats aidés et stages (1,7%) et apprentissage (1,4%), sans compter le travail à temps partiel, à hauteur de 18,8%. Ces types d’emplois sont considérés comme précaires car ils dérogent à la norme du CDI à temps plein, soit du point de vue de la durée et de la stabilité du contrat de travail, soit du point de vue du temps de travail. Ils introduisent une discontinuité juridique, mais aussi temporelle : qu’il s’agisse du travail temporaire ou à temps partiel, du contrat à durée déterminée (qui peut aussi être saisonnier ou d’usage), « toutes ces expressions indiquent le caractère décisif du temps et, plus particulièrement, de l’intermittence, entendue comme discontinuité des temps ». Cette définition de l’emploi précaire, à partir de la discontinuité, permet « d’élargir la réflexion sur l’emploi précaire au-delà du seul cadre législatif » et du temps circonscrit de l’emploi. Elle a aussi l’avantage d’indiquer « un seuil à partir duquel la question de la précarité de l’emploi peut, comme telle, être abordée conceptuellement ».