Au nom de la nation

JPEG - 170.5 ko
« APRES LA MORT »
cc Richard Grandmorin https://flic.kr/p/dsM1JP

Lors de l’hommage national rendu à Jean d’Ormesson, le vendredi 8 décembre 2017, soudain, « le ciel a viré au bleu, comme s’il ne pouvait en être autrement (1) » : exemple parmi d’autres de l’élan d’admiration qui a animé, sans faiblir, ceux que Léon Bloy jadis nommait « les gagas des journaux » ainsi qu’un nombre marquant de politiques. Pudiquement, une gaze fut jetée sur le journaliste d’Ormesson, celui qui écrivait en 1975 dans Le Figaro, dont il était alors directeur général, au moment de la chute de Saïgon : « Et Saigon est libéré dans l’allégresse populaire. Libéré ? L’allégresse populaire ? », ce qui suscita une belle chanson de Jean Ferrat en riposte — « Ah, monsieur d’Ormesson, Vous osez déclarer Qu’un air de liberté Flottait sur Saïgon »… Le doux d’Ormesson « représente la bienveillance », comme dit François Busnel, on n’insistera donc pas sur ses mots en 1983 sur France Inter à l’encontre du directeur du journal L’Humanité , Roland Leroy — « vous avez été ignoble, comme d’habitude »… Mais chacun saura qu’il reprit un vers de Louis Aragon, comme titre d’un de ses livres, et que ce vers, « je dirai malgré tout que cette vie fut belle »… fut même à l’honneur lors de l’hommage, sur le livret de messe, splendide oecuménisme. D’ailleurs, il affirmait son admiration pour le poète, ce qui prouve bien qu’il n’était pas sectaire — et le porte-parole du Parti communiste français a salué « son regard sur le monde ». Bref, comme l’ont dit Les Inrocks, il était « charmant », quant à La Croix, c’était « Jean d’O le Magnifique », ce que résume, dans la matinale de France Inter (6 décembre), Fabrice Luchini : « il incarnait la grande aristocratie », « il a réussi sa vie »,« il était du côté de la légèreté ». Que cela donne droit à un hommage de la nation, avec messe en prime, manque un peu d’évidence.

C’est peut-être dans l’allocution du président de la République qu’on trouve quelques pistes contribuant à expliquer ce remarquable honneur. M. Emmanuel Macron s’est montré particulièrement inspiré en évoquant celui qui, « antidote à la grisaille des jours », nous aurait enseigné « que la liberté et le bonheur restent à portée de main, et que la littérature en est le meilleur viatique », ce qui est un propos d’un vide si profond qu’il en donne le vertige.

À l’évidence, ce n’est pas vraiment l’œuvre qui est saluée, quand bien même le président de la République s’emploie à en chanter la « palette », et d’ailleurs, personne à ce propos ne crie au talent étourdissant. C’est bien plutôt ce que Jean d’Ormesson incarnait, c’est-à-dire, selon M. Macron, dans la tribune qu’il écrivit pour l’occasion (Le Figaro, 5 décembre) « le meilleur de l’esprit français ». Il n’est pas sans intérêt de regarder d’un peu près ce qu’est cette quintessence :

« La France est ce pays complexe où la gaieté, la quête du bonheur, l’allégresse, qui furent un temps les atours de notre génie national, furent un jour, on ne sait quand, comme frappés d’indignité. On y vit le signe d’une absence condamnable de sérieux ou d’une légèreté forcément coupable. Jean d’Ormesson était de ceux qui nous rappelaient que la légèreté n’est pas le contraire de la profondeur, mais de la lourdeur. »

« Furent un jour, on ne sait quand, comme frappés d’indignité ». Le terme est fort, d’autant qu’il n’est pas très loin de l’adjectif « national », et évoque, de façon subliminale, l’indignité nationale dont furent « frappés » certains à la Libération… Et cette dénonciation officielle d’un supposé esprit de sérieux tout-puissant, qui aurait « condamné » la gaieté, a comme un air de famille avec l’esprit des « hussards », ces écrivains des années 1950-1960, assez frénétiquement hostiles à l’existentialisme et au marxisme, dont Roger Nimier fut le héraut, qui se voulaient dandies, trop sensibles au tragique de la vie humaine pour ne pas en célébrer la frivolité, ennemis de tout engagement, mais s’inscrivant, avec une ardeur désinvolte, quand même… fermement à droite.

Lire aussi , « Classe sans risque », Le Monde diplomatique, octobre 2017.En bref, Jean d’Ormesson, qui fut un commentateur politique multimédia persévérant, ami de Nicolas Sarkozy et en général des puissants, se revendiquant d’une « droite gaulliste mais européenne » mais avec « beaucoup d’idées de gauche », sans autre précision, soutien de François Fillon mais votant Emmanuel Macron au deuxième tour, parce qu’élégamment dégagé de toute idéologie enfermante, représentait le goût de la France pour le bonheur, à l’opposé des tristes, des pédants, de cette armée de « on » englués dans le sérieux de leurs convictions, et qui basculeraient vite dans la mise en procès de ceux qui préfèrent l’art de vivre : quoi de plus important, pour un mortel, que la fragile « quête du bonheur », merveilleusement individuelle, au-dessus des passions tristes, vouée à l’essentiel, éternelle et intemporelle, détachée des contingences matérielles ? Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, la profondeur, mais elle reste discrète : « Nous entrerons dans le secret de cette âme qui s’est si longtemps prétendue incrédule pour comprendre qu’elle ne cessa d’embrasser le monde avec une ferveur mystique, débusquant partout, au cœur de son ordre improbable et évident, ce Dieu, au fond si mal caché, dont vous espériez et redoutiez la présence et qui, peut-être, dans quelque empyrée, vous dit enfin : “La fête continue.” » Car que serait « l’esprit français » s’il n’y avait, au fin fond, la quête de Dieu ? On se demande ce qu’aurait répondu le très insolent Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, le créateur du Barbier de Séville, un nommé Figaro…

Ce serait donc là l’ensemble de raisons qui ont valu à Jean d’Ormesson de recevoir l’hommage de la nation : il en aurait symbolisé la meilleure part. Il est difficile et de ne pas éprouver quelques doutes, et de ne pas remarquer que ses qualités tant vantées sont de façon caractéristique, celles d’un temps et d’une classe fantasmés : un temps où les excès « partisans » n’auraient pas eu lieu — ceux de la Révolution et ses successeurs —, où l’on pouvait s’entendre entre gens d’opinions diverses mais de bonne compagnie, une classe qui… a la classe, c’est-à-dire, pour ceux qui n’en font pas partie mais qu’elle fait rêver, l’élégance de la bonne éducation, l’insolence feutrée de qui sait qu’il détient les clefs du bon goût, et les repères et valeurs traditionnels des notables, sur lesquels il convient de ne pas s’appesantir, comme le ferait un petit bourgeois. À droite, mais pas trop. Croyant, mais en supplément d’âme. Brillant, mais à portée de tous. Lettré, mais sans excès. Le peuple autrefois a suivi le cercueil de Victor Hugo, qui avait su écrire une de ses plus belles légendes avec Les Misérables, et n’avait pas craint, très progressivement certes mais une fois le choix fait, avec puissance, de choisir son camp. Aurait-on les symboles qu’on mérite ?

Le taylorisme à la mode hippie

JPEG - 337.6 ko
« Alienation and Dehumanization in Technological Society »
cc photographymontreal

Le capitalisme numérique moderne, avec sa promesse de communication instantanée et permanente, n’a pas fait grand-chose pour nous débarrasser de l’aliénation (1). Nos interlocuteurs sont nombreux, notre divertissement illimité, la pornographie se télécharge vite et en haute définition. Pourtant, notre quête d’authenticité et de sentiment d’appartenance, aussi dévoyée soit elle, persiste bel et bien.

Au-delà des remèdes accessibles et évidents à notre crise d’aliénation : plus de bouddhisme, plus de méditation, plus de camps de désintoxication Internet, l’avant-garde numérique du capitalisme contemporain a envisagé deux solutions, respectivement inspirées de John Ruskin et d’Alexis de Tocqueville.

La première consistait à étendre la philosophie du mouvement Arts & Crafts, en célébrant la conception artisanale et romantique de John Ruskin, William Morris et leurs associés, au point de les introduire dans le royaume des imprimantes 3D, des graveurs laser, et des fraiseuses numériques.

Les fab labs et autres ateliers de fabrication numérique (de l’anglais makerspace) étaient censés fournir un refuge loin de l’aliénation du travail de bureau moderne, tout en rendant les moyens de production aux travailleurs. « Il y a quelque chose d’unique à fabriquer des objets, médite Mark Hatch, le PDG de TechShop dans son Maker Movement Manifesto, publié en 2013. « Ce sont comme des petits morceaux de nous-mêmes qui semblent incarner des parties de notre âme. »

Lire aussi , « Illusoire émancipation par la technologie », Le Monde diplomatique, janvier 2013.L’approche tocquevillienne consistait à utiliser des outils numériques pour faciliter les réunions de groupe dans le monde réel, de manière à inverser les tendances décrites par Robert Putnam dans son best-seller Bowling Alone. L’idée était que les réseaux sociaux permettraient aux gens de trouver des enthousiastes qui leur ressemblent, de former des groupes propices à l’avènement d’une société civile dynamique, selon l’idéal d’Alexis de Tocqueville.

Meetup.com, une plate-forme numérique créée au début des années 2000 pour faciliter les rencontres en chair et en os, en est un bon exemple. « Nous subvertissons la hiérarchie », proclamaient ses fondateurs, déclarant que même les membres d’organisations formelles ne devraient pas avoir besoin de l’approbation de leur direction pour se retrouver et discuter. S’inspirant de Bowling Alone, ils ont lancé un site qui a joué un rôle important dans le mouvement de soutien au candidat démocrate Howard Dean pendant les élections présidentielles américaines de 2004. Meetup.com a également contribué à l’émergence du Mouvement 5 étoiles (Movimento 5 Stelle, M5S) en Italie. Aujourd’hui devenu parti politique, ce mouvement populiste n’était il y a dix ans qu’un petit groupe de citoyens en colère en quête d’outils de mobilisation sociale.

Que sont devenues ces deux approches ? Celle de John Ruskin a rencontré quelques difficultés, car de nos jours la distinction entre l’artisanat et la gentrification est assez floue. Les ateliers de fabrication numérique ont été très utiles à certains employés du capitalisme cognitif épuisés par leur travail de bureau abrutissant, mais ils ont aussi suscité la colère de ceux qui n’avaient pas la chance d’occuper des postes si enviables.

Prenons l’exemple de la Casemate, un fab lab basé à Grenoble, qui a récemment été brûlée et saccagée. Dans un communiqué publié sur le site Internet Indymedia, un collectif anarchiste revendique l’acte de sabotage en fustigeant les gestionnaires des villes qui ne pensent qu’à attirer les « start-ups avides de fric » et les geeks. La grande révolution des « makers » (« faiseurs » en français), prédite il y a quelques années par le Techshop de Mark Hatch, a déjà commencé à dévorer ses propres enfants : le 15 novembre dernier, Techshop a déposé le bilan.

La solution Tocquevillienne, quant à elle, se trouve dans une situation plus complexe. Fin novembre, le réseau social Meetup.com annonçait son rachat par WeWork, une start-up à 20 milliards de dollars qui conjugue la gestion de données personnelles et de biens immobiliers pour offrir, selon ses propres termes, « de l’espace à la demande », la dernière variante en date des classiques de la technologie moderne comme les « logiciels à la demande » ou des « infrastructures à la demande ».

Forte d’investisseurs comme Goldman Sachs ou la multinationale japonaise SoftBank — qui lui a versé 4,4 milliards de dollars en août dernier —, WeWork est bien plus qu’un simple réseau de 170 bâtiments répartis dans 56 villes et 17 pays. Non seulement sa valeur excède celle de Boston Properties, le plus grand groupe immobilier commercial coté en bourse, mais elle est plusieurs fois supérieure à celle des groupes qui possèdent bien plus d’espace.

WeWork doit sa réussite à son statut de plate-forme technologique dans la veine d’Uber et Airbnb. La logique est très simple : grâce à son développement rapide, elle peut extraire et analyser des données relatives aux usages directs ou indirects des espaces loués (« les bâtiments sont des ordinateurs géants », peut-on lire sur son blog). Elle peut se servir des données pour proposer aux locataires une grande flexibilité en termes d’espace, de fourniture et de conditions de location.

Cependant, la valeur de WeWork suggère que sa domination ne se limitera pas au secteur de l’immobilier, mais s’étendra à celui des services. Par exemple, en utilisant les données pour aider leurs clients à modifier et gérer leur espace de travail. La jeune start-up parie sur le fait que la gestion de l’espace et de l’immobilier, comme « l’informatique en nuages » naguère, deviendront bientôt un service proposé par une poignée de plates-formes gourmandes en données.

Éperonnée par un récent afflux de liquidités, WeWork se développe tous azimuts. Elle a créé des lieux de vie qui permettent de louer un appartement juste au-dessus de son lieu de travail, ainsi qu’un centre de sport et bien-être avec sauna et salle de yoga. Elle a acheté une école d’informatique qui s’avérera très utile si ses futurs membres doivent apprendre à coder. Elle a aussi annoncé l’ouverture prochaine d’une école élémentaire dans ses locaux de New-York, où les élèves seront traités comme des « entrepreneurs nés », afin que leurs parents débordés voient davantage leurs enfants — sur leur lieu de travail.

Lire aussi Stéphane Haefliger, « La tentation du “loft management” », Le Monde diplomatique, mai 2004. Sa principale innovation réside cependant dans son image de marque. Rares sont les entreprises de la Silicon Valley qui n’arborent pas d’intentions humanitaires, mais WeWork n’y va pas de main morte. « Notre valeur et notre taille actuelles, a récemment déclaré son co-fondateur Adam Neumann au magazine Forbes, s’expliquent bien plus par notre énergie et notre spiritualité que par le nombre de zéros de notre chiffre d’affaires. »

Cet homme d’affaires d’origine israélienne, qui a grandi dans un kibboutz, souhaite réaliser un projet hors du commun : un kibboutz high-tech qui ne s’encombre pas d’un égalitarisme imprégné de socialisme : « Nous construisons un kibboutz capitaliste », déclarait-il au journal Haaretz en juillet. L’ambition utopique de WeWork vise l’utilisation des big data — et non l’égalitarisme des premiers kibboutz — pour résoudre les problèmes professionnels ainsi que ceux de la vie moderne en général. L’aliénation, dans cette perspective, n’est pas une caractéristique intrinsèque du capitalisme mais un simple bug, que quelques données de plus suffiront à corriger. Et quelle meilleure manière de le faire que de dissoudre les vies hors-travail des individus dans leur vie au-travail ? Le kibboutz capitaliste alimenté en données se chargera de vous accueillir par votre prénom et de vous souhaiter un bon anniversaire.

Dans un entretien récent, Eugen Miropolski, cadre chez WeWork, explique que la start-up se donne pour mission de « créer un monde où les gens travaillent pour vivre, et non simplement pour gagner leur vie ». Alors qu’auparavant « les citadins se rassemblaient dans des mairies, des bars, des cafés et des espaces publics pour débattre des sujets du jour », WeWork aspire à créer « un lieu où les gens puissent se retrouver, parler, échanger des idées nouvelles et innover de manière collaborative. »

Ainsi, conclut Eugen Miropolski, « l’immobilier n’est qu’une plate-forme pour notre communauté ». La priorité, c’est d’optimiser tout le reste (crèches, salles de yoga, etc.), grâce aux génies des données qui travaillent pour WeWork. L’espace public, après avoir été privatisé à vue d’œil au cours des dernières décennies, est enfin rendu aux citoyens. À ceci près qu’il nous revient sous la forme d’un service commercial fourni par une entreprise numérique généreusement financée, non comme un droit fondamental pour tous.

L’approche de Tocqueville semble s’être essoufflée d’elle-même. Les membres de la société civile de Meetup continueront de discuter, mais à l’intérieur des locaux appartenant à WeWork. Et pour lutter contre l’aliénation, il faudra désormais analyser encore plus de données et tourmenter les esprits déjà torturés des travailleurs de l’économie cognitive qui, voulant échapper à leur lieu de travail aliénant, se réfugient dans le confort des ateliers de fabrication numérique et des réunions en face-à-face, pour découvrir que ces nouveaux espaces professionnels ont fini par envahir leur vie personnelle.

Lire aussi , « Le travail à la chaîne est-il mort ? », Le Monde diplomatique, septembre 2016.Si Frederick Winslow Taylor a dû déployer des efforts considérables pour extraire le savoir-faire des ouvriers dans les usines, WeWork repose sur une extraction des données omniprésente et permanente qui passerait presque inaperçue, car elle ne fait pas de distinction entre le domaine professionnel et les autres. Tandis qu’à la fin des années 1960, des intellectuels de gauche mettaient en garde contre l’émergence de « l’usine sociale », un monde où le travail et la logique de domination et de surveillance propres à l’usine contamineraient la société en général, WeWork suggère que le phénomène inverse est en train de se produire : la société est ramenée à l’intérieur de l’usine d’aujourd’hui, soit le bureau moderne, mais dans des conditions qui ressemblent à s’y méprendre au paradigme tayloriste.

Ces startups ont beau avoir des allures hippies, les processus sous-jacents n’en restent pas moins tayloristes. Le rachat de Meetup par WeWork initie une nouvelle phase dans la lutte contre l’aliénation : l’approche tocquevillienne a fait place au taylorisme hippie.

Peur des revenants au Sahel

JPEG - 196.7 ko
L’instabilité au Sahel affecte le tourisme du désert en l’Algérie
cc Magharebia

L’Afrique a toujours du mal à mettre en œuvre des forces de paix « indigènes », dans un cadre régional, et encore plus à une échelle continentale, au point de se reposer encore largement sur les missions de l’ONU, ou sur les opérations militaires françaises quand il y a urgence. Il y a pourtant des progrès dans la responsabilisation de certains acteurs africains du maintien de la paix, comme le souligne Hugo Sada (1) dans une note publiée en novembre dernier, dans le cadre de la quatrième édition du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique.

Ainsi, le sommet de l’Union africaine en juillet 2016 a ratifié l’objectif d’un financement par les États africains de 25 % du coût des opérations africaines de paix, notamment à travers la création d’un fonds africain pour la paix qui serait alimenté par une taxe de 0,2 % sur les importations — objectif qui est régulièrement rappelé depuis. L’avenir, selon Sada, est à des déploiements plus rapides, des mandats plus offensifs, et des coûts moindres que dans le système onusien (2).

Pleine capacité

Ce sera sans doute le profil de la force régionale du « G5 Sahel », lancée en 2017. Elle rassemble le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad — cinq pays frappés par les attaques de groupes djihadistes : ces derniers font régner la terreur dans les confins désertiques de ces pays, mais aussi dans leurs capitales et grandes villes, par des attentats et autres exactions de type terroriste.

Imaginée sur la lancée des engagements militaires tchadiens au nord-est du Nigeria (contre Boko Haram) et au nord du Mali (aux côtés des Français), l’opération conjointe des cinq États sahéliens a pris forme cette année après plusieurs réunions de haut niveau, puis la création d’un état-major intégré installé à Sévaré, au Mali, et enfin le lancement fin octobre d’ une première opération baptisée « Hawbi », dans la zone fes « trois frontières » (nigéro-burkinabé-malienne). La force G5 Sahel devrait atteindre en principe sa pleine capacité opérationnelle à partir de mars prochain. A terme, elle pourrait comprendre jusqu’à 5000 hommes.

Lire aussi , « Le Tchad, puissance de circonstance », Le Monde diplomatique, juin 2016.Pour une fois, les obstacles politiques semblent levés — à l’exception peut-être de l’agacement du Sénégal, qui aurait voulu être associé plus étroitement à cette initiative régionale. Le G5 Sahel a en tout cas reçu la bénédiction de l’Union africaine, ainsi que le feu vert de principe de l’ONU, à travers la résolution 2359 (mais sans engagement financier à ce stade). Et, bien sûr, l’encouragement français. Le Tchad, bien qu’économiquement exsangue, s’en veut moteur sur le plan militaire, grâce à son armée particulièrement aguerrie, qui a fait ses preuves à nouveau ces dernières années sur les terrains malien ou nigérian, et en a payé le prix du sang.

Génération difficile

Mais, « s’agissant de pays qui font partie des plus pauvres de la planète, générer une force à partir de leurs propres armées, qui manquent déjà beaucoup de moyens, est d’autant plus difficile », reconnaît le général Bruno Guibert, commandant depuis juillet dernier de la force française « Barkhane », que le G5 Sahel pourrait remplacer dans un terme plus ou moins lointain. En attendant, il manque à ces armées sahéliennes — et donc à cette force régionale en cours de « génération » — des outils de combat majeurs, des moyens de renseignement, de mobilité tactique, et de soutien du combattant, pour être en mesure d’agir efficacement sur un territoire d’environ sept millions de km2 (douze fois la superficie de la France).

Sur les 250 millions d’euros envisagés nécessaires dans un premier temps pour démarrer cette force, 108 millions ont été promis dès la mi-novembre : 50 au titre des contributions des États-membres du G5 ; 50 de la part de l’Union européenne ; et 8 en dotations d‘équipement de l’armée française. S’y ajoutent 60 millions de dollars attribués par le gouvernement américain aux pays-membres du G5, sous forme bilatérale. Le reliquat devrait être trouvé en écho à la « réunion de soutien » au G5 organisée ce 13 décembre à la Celle Saint-Cloud, près de Paris (3). A cette occasion, le gouvernement saoudien, par la voix de son ministre des affaires étrangères, a confirmé vouloir appuyer le G5 Sahel à hauteur d’une centaine de millions de dollars.

Ayant fait valoir que la sécurité au Sahel conditionne en partie celle de l’Europe, la France milite pour une implication plus significative de ses partenaires européens, cantonnés jusqu’ici à une prise en charge de la formation des unités de l’armée malienne, ou à des soutiens opérationnels ponctuels — à l’exclusion de toute mise en oeuvre d’une capacité offensive. Paris préconise aussi une prise en charge plus active de la sécurité au Sahel par les forces armées nationales, alors que, de son côté, la force des Nations unies au Mali (Minusma), faute d’un mandat plus robuste, reste relativement impuissante, avec des pertes qui en font, selon Macky Sall, président du Sénégal, « la force de paix la plus meurtrie de l’histoire du continent ».

À flux tendus

Le G5 Sahel a d’ailleurs été créé en décalque africain de la force Barkhane, actuellement déployée à l’échelle de ces cinq pays. Le format actuel de l’opération française est de 4 500 hommes, sur un territoire grand comme l’Europe, avec 500 véhicules, une cinquantaine d’aéronefs de tous types, une douzaine d’implantations, et une logistique à flux tendu — le tout commandé depuis N’Djamena (Tchad). C’est tactiquement insuffisant, mais ne risque pas d’être revu à la hausse, ne serait-ce que pour des raisons budgétaires, mais aussi finalement politiques : il ne faudrait pas que « l’empreinte » des militaires français soit trop voyante…

Reste que, trois ans après sa création, Barkhane marque le pas : l’adversaire, bien que limité en nombre — moins d’un millier d’hommes —, s’est dilué en une myriade de groupes et commandos composés de quelques hommes, difficilement identifiables, qui s’attaquent aux points faibles (casernes de gendarmes, unités de la Minusma, bus civils, etc. (4)), si bien que l’insécurité a gagné des régions jusque-là épargnées, comme le centre du Mali. Alors qu’une élection présidentielle est prévue l’an prochain au Mali, et que les accords de paix signés à Alger et à Bamako en 2015 ne sont que très partiellement appliqués, le général Guibert relève que « tout le monde n’a pas forcément intérêt, au Mali principalement, de voir les accords d’Alger mis en œuvre : vous avez une collusion, manifeste bien souvent, une porosité entre les groupes armés signataires de l’accord et les groupes terroristes ».

Contrôle de zone

Pour ces raisons, et aussi parce que Paris ne souhaite pas donner l’impression que l’armée française est appelée à stationner éternellement dans ces parages, le mode d’intervention de Barkhane est appelé à évoluer : après les opérations antiterroristes « coups de poing » montées à partir de bases, contre des groupes ravitaillés depuis le sud de l’Algérie ou de Libye, on passerait à une « opération de contrôle de zone sur la durée », avec :

plus de mobilité, mais dans des secteurs plus ciblés ;

transfert accéléré aux autorités maliennes ;

action mieux coordonnée des militaires avec l’ensemble des opérateurs (administration, développement, humanitaire), dans le cadre d’une approche « beaucoup plus interministérielle et globale », comme plaide le général Bruno Guibert ;

recours, lorsqu’ils seront disponibles (2018-19), à des drones armés (5).

Après la mort de plusieurs de leurs soldats dans une embuscade à Tillabéri, au Niger, les Américains — qui disposent d’une importante base de drones d’observation mis en œuvre à partir de Niamey, au Niger, et à la fin de l’année prochaine à partir d’Agadez, au nord du pays — ont également décidé en octobre dernier de doter ces aéronefs de missiles (comme c’est déjà le cas pour les drones déployés dans leur base à Djibouti). Pour eux, la mise en œuvre des drones armés sera donc beaucoup plus rapide que pour les Français.

Lire aussi , « Le djihadisme sous la loupe des experts », Le Monde diplomatique, décembre 2017.Cette escalade militaire peut rassurer des gouvernements, puisqu’elle permet un traitement en temps réel de la probable ou supposée menace ; mais elle inquiète aussi certains observateurs qui s’interrogent sur la militarisation du Sahel depuis le déclenchement en 2013 de l’opération Serval, ses faibles résultats « techniques » et ses possibles retombées politiques : « Des drones armés français et américains dans le ciel ouest-africain, ca vous rassure ? », demande par exemple dans une tribune récente sur le site Wathi Gilles Yabi, ancien animateur du bureau Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group (ICG).

« Tout se passe, écrit-il, comme si les modalités de la guerre contre le terrorisme sous pilotage stratégique extérieur ne pouvaient pas s’avérer aussi dangereuses pour les perspectives de paix et de sécurité en Afrique de l’Ouest que le mal terroriste qu’elle est censée traiter. Est-ce une si bonne nouvelle pour les populations des pays sahéliens, qui vivent pour leur majorité dans des conditions économiques, sociales et environnementales spartiates, de savoir que leurs territoires seront survolés par des engins volants pilotés à distance capables d’éliminer à tout moment des ennemis choisis souverainement par Paris ou Washington DC ?

Lequel des États de la région est capable de fixer des lignes rouges à ne pas dépasser à ses partenaires américains et européens dans le déploiement de leurs actions offensives ? », poursuit Gilles Yabi, qui s’inquiète des « dommages collatéraux » créés au sein de la population par les tirs plus ou moins ajustés de ces robots-tueurs, qui deviendraient autant d’arguments en faveur de la propagande et du recrutement des groupes djihadistes du Sahel.

Quel baptême… en avion

Dernièrement, j’ai fait un stage de pilotage d’avion à Narbonne. Je n’avais encore jamais essayé, et je comprends mieux pourquoi tant de gens dépensent des fortunes là-dedans : les sensations qu’on a à bord d’un avion sont vraiment géniales. On est si accoutumés aux avions de ligne qu’on ne sait plus vraiment, de nos jours. Mais dans un petit appareil, on retrouve enfin les sensations de vol ! Et je crois que cette différence de sensations peut parfaitement s’appliquer au macrocosme de l’entreprise. Quand on travaille au sein d’une grosse société, on a tendance à perdre de vue l’essentiel. Et ça peut provoquer des dégâts. Prenez l’exemple d’Altice qui n’arrive plus à sortir du marasme dans lequel elle s’est enfoncée. Plus d’un million d’abonnés ont quitté SFR depuis 2014, et ce n’est probablement pas fini. Son patron a beau s’agiter autant qu’il veut pour sauver les meubles, la dette du groupe Altice ne va pas aller en s’arrangeant. SFR a tout simplement trop agacé ses clients en décidant d’élévations de tarif sans même les prévenir, et ceux d’entre eux qui ne sont pas encore partis doivent être en train d’étudier les offres des autres opérateurs… En essayant de colmater la brèche, Drahi a dit une chose très intéressante : qu’ils devaient se recentrer sur « les petits détails ». Cette simple constatation confirme que les grandes entreprises oublient le principal, en l’occurrence ces fameux « petits détails opérationnels ». Par exemple, les mecs qui se sont dits que ce serait une bonne idée d’imposer de force une option payante à leurs clients vivent complètement déconnectés du réel. C’est la même chose pour les banques qui vous imposent de prendre des options payantes pour obtenir le moindre truc, et qui déplorent ensuite que les clients fuient progressivement vers les banques en ligne. Ces grandes entreprises, en devenant aveugles aux évidences, se pourrissent elles-mêmes. Et c’est bien dommage, car ce sont les mêmes qui, à la base, étaient bien parties pour durer ! Quoi qu’il en soit, si vous aimez les expériences originales, je vous invite vraiment à essayer le pilotage d’avion. Voici le site auquel j’ai fait appel pour mon vol. Davantage d’information est disponible sur le site de l’agence de voyage de ce pilotage en avion à Narbonne. Cliquez sur le lien.