Le footballer devenu président

Enfant des bidonvilles de Monrovia devenu star planétaire du foot dans les années 1990, George Weah a réalisé le rêve de sa seconde vie en devenant jeudi président du Liberia, pays traumatisé par la guerre civile, qu’il entend réconcilier avec lui-même. A 51 ans, l’ex-attaquant vedette du PSG et du Milan AC a largement remporté le second tour de l’élection présidentielle, avec 61,5% des voix face à son adversaire, le vice-président Joseph Boakai. Seul Africain à avoir remporté le Ballon d’or, en 1995, Weah était largement absent du pays pendant la guerre civile qui a fait quelque 250.000 morts entre 1989 et 2003. Entré en politique à la fin du conflit, il avait été battu au second tour de la présidentielle de 2005 par Ellen Johnson Sirleaf, première femme élue chef d’Etat en Afrique, puis comme candidat à la vice-présidence en 2011. Son parti criera alors en vain à la fraude. Cette fois, alors que son adversaire Joseph Boakai a multiplié les procédures pour dénoncer les « fraudes et irrégularités » ayant selon lui entaché le premier tour, « Mister George » a appelé ses partisans à la patience et au calme. Samedi, il avait effectué une démonstration de force en rassemblant des dizaines de milliers de partisans dans le plus grand stade du pays à Monrovia, affirmant à l’AFP: « Je sais que (Joseph) Boakai ne peut pas me battre. J’ai le peuple avec moi ». Quinze ans après avoir raccroché les crampons, il assure avoir « gagné en expérience » sur le terrain politique et appris de ses échecs. En décembre 2014, il remporte son premier mandat en devenant sénateur, distançant très largement l’un des fils de Mme Sirleaf. « Personne ne devrait avoir peur du changement. Regardez ma vie: je suis passé de footballeur à homme politique », a-t-il lancé pendant la campagne. « Vous pouvez vous aussi être cette personne. Nous sommes pareils », a ajouté l’ex-star du ballon rond, élevé par sa grand-mère à Gibraltar, un bidonville de Monrovia. A ses critiques qui jugent son programme trop vague et pointent son absentéisme au Sénat, il rétorque par son bilan en matière de santé et d’éducation, la proximité qu’il cultive avec la population et des promesses. « Je vais m’assurer que nos hôpitaux soient équipés, que nos médecins et nos infirmières soient formés et qu’ils soient encouragés à travailler ». Weah a choisi comme colistière Jewel Howard-Taylor, l’ex-épouse de l’ancien chef de guerre et président Charles Taylor (1997-2003), une sénatrice respectée. Mais George Weah, tout en affirmant que « tout le monde était l’ami de Charles Taylor », le répète: il n’entretient « pas de contact » avec l’ancien président, condamné en 2012 par la justice internationale à 50 ans de prison pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre en Sierra Leone voisine. Pendant la guerre civile, Weah avait plaidé pour la paix au Liberia, appelant l’ONU à sauver son pays. En rétorsion, des rebelles avaient brûlé sa maison de Monrovia et pris en otage deux de ses cousins.

Johnny et l’irréalité

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« Johnny Hallyday au palais des sports »
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La mort de Johnny Hallyday a déclenché une vague médiatique à la hauteur des événements les plus dramatiques. Le 6 décembre 2017, les commentaires en boucle coupés par les directs, les témoignages de proches et les micro-trottoirs des fans se succédèrent sans discontinuer sur toutes les ondes : chaînes d’info… en continu, immédiatement suivies par les chaînes d’info générales puis par la presse écrite. Le déluge continua les jours suivants, relancé par un hommage national retransmis en direct et un « dernier voyage » aux Antilles. Les titres étaient à la hauteur de l’évènement : « France en deuil », « France en larmes ». Les commentateurs redoublaient l’unanimité par leurs explications : la France était en deuil parce que le défunt était une « idole », voire un « héros », etc. On se sentait ainsi un peu seul si l’on ne ressentait aucune tristesse. Était-on même tout à fait français ? Dès le premier jour de ce deuil médiatique, les solitaires découvraient pourtant qu’ils l’étaient moins lorsque, rencontrant des amis, ils partageaient agacement et ironie. Il est probable que ces dissidents étaient socialement proches mais, à l’inverse, les endeuillés n’étaient-ils pas surtout membres du showbiz et les fans plutôt des septuagénaires des milieux populaires ? En tout cas, il n’y avait nulle unanimité.

Lire aussi , « Les médias reflètent-ils la réalité du monde ? », Le Monde diplomatique, août 1999.Comment ce déferlement unanimiste avait-il pu se développer contre la vérité et la raison ? Encore une fois, on se trompait d’objet en croyant que l’information enregistre simplement l’importance des événements et parle forcément des choses qu’elle désigne. Les médias étaient bien en peine de voir qu’ils fabriquaient eux-mêmes cette unanimité d’images et de papier. Était-ce encore de l’information que ces images et commentaires diffusés pendant une semaine, jusqu’à la tombe antillaise ? En attendant les suites du récit funèbre où, « avec du recul », viendront les documentaires sur la carrière du chanteur et les confidences des intimes. Les médias se sont comportés comme des entreprises de mobilisation. Un rôle habituel mais dénié.

L’industrie de l’irréalité

Dans les dystopies les plus classiques, l’ordre totalitaire est notamment assuré par la propagande. Dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, la mise en condition totalitaire s’impose par la profusion de l’information et précisément par celle des images diffusées par les murs écrans tandis que, dans 1984 de George Orwell, Big Brother règne par le contrôle strict d’une information unique. George Orwell était sans doute plus réaliste au regard des régimes totalitaires qui avaient occupé le XXe siècle, Aldous Huxley plus prophétique en anticipant l’ère télévisuelle et numérique de l’inflation des canaux et des messages. Le traitement médiatique de la mort de Johnny Hallyday a donné une version hybride de cette tutelle en associant une multiplicité des médiateurs et une uniformité du message. Tous ces médias, chaînes de télévision ou de radio, et même la presse écrite, moyennant quelques variations, titraient sur la mort de Johnny — seul le quotidien La Croix titrait sur l’annonce du déplacement de l’ambassade américaine à Jérusalem par Donald Trump. La communion avec autrui, le bien par excellence disait Emile Durkheim, tel fut le spectacle que donnèrent les médias, quitte à mépriser tout le monde, les spectateurs sommés de clamer leur amour ou rejetés dans le néant. Il fallut attendre plusieurs jours pour entendre quelques voix dissonantes.

Lire aussi , « Des chaînes « tout info » bien peu dérangeantes », Le Monde diplomatique, juin 2007.George Orwell et Aldous Huxley n’avaient pas fait l’autopsie du régime de conditionnement supposant implicitement qu’il fallait chercher du côté du pouvoir politique totalitaire, une puissante administration tirant les ficelles de la soumission. À commencer par celle des producteurs d’information. Rien de tel ici. Il faut donc expliquer comment les médias ont mis en musique une partition du deuil unanime, sans poste de commandement, en quelque sorte spontanément. Si l’on en croit les justifications professionnelles, la hiérarchie de l’information serait déterminée par l’importance de l’évènement. Tant pis si cet objectivisme de l’information ne résiste pas aux épreuves les plus simples. Rien de plus solide qu’une idéologie professionnelle que les professionnels démentent volontiers en privé mais qui est commode pour se préserver. Comment les médias ont-ils pu être si unanimes face à un événement dont beaucoup de journalistes auraient convenu qu’à titre personnel, ils s’en fichaient ? Cette forme de coordination se trame dans les salles de rédaction où les uns et les autres réagissent selon ce que disent et montrent les uns et les autres. Il faut voir les murs d’écrans diffusant les images de la concurrence dans les studios de télévision et les exemplaires de journaux dans les bureaux des radios et de la presse écrite pour comprendre cette situation d’interdépendance tactique élargie (Thomas Schelling) où la vision que se font les uns dépend non seulement de la vision des autres mais de ce qu’on croit être la vision de l’autre. Et inversement. Contre tout le bon sens libéral du pluralisme de l’information, il faut alors expliquer comment l’information peut être d’autant plus uniforme que se multiplient les moyens de communication.

On n’a même pas entendu les critiques les plus banales de l’instrumentalisation des médias par les pouvoirs politiques et de l’aveuglement de journalistes ne sachant pas ce qu’ils font. En l’occurrence, les journalistes ne sont pas des instruments du pouvoir, ils en sont des acteurs. Et s’ils ne sont pas plus conscients que d’autres de ce qu’ils font, ils ne sont donc pas, ou pas complètement, des « idiots utiles ». Les relations interpersonnelles les associent aux dirigeants politiques qu’ils fréquentent, tutoient et parfois épousent mais par leur action au cœur des mécanismes de pouvoir. Pas seulement un personnel auxiliaire mais un personnel informel de l’État. Et si on reproche parfois la pusillanimité des interviews aux politiques, est-ce parce qu’ils obéissent ou parce qu’ils sont d’accord ? D’accord sur les façons de concevoir la politique et d’ailleurs déjà largement familiers d’un milieu d’interconnaissance. Ce nouveau clergé séculier organise les grandes célébrations d’État comme l’ont été les cérémonies en hommage à Jean d’Ormesson et à Johnny Hallyday. D’autant plus qu’ils ont accédé eux-mêmes à la célébrité comme c’est de plus en plus le cas pour une frange supérieure de la profession. Notamment dans la presse télévisuelle où la quasi ubiquité de certains visages vaut une renommée quasi automatique. L’attraction de la profession pour les jeunes candidats aux écoles de journalisme participe aussi à la quête de cette réussite particulière qu’est la notoriété. La télévision est devenue rapidement cette machine à la produire pour ses propres acteurs autant que pour les politiques, les gens de spectacle et quelques autres. « L’industrie de l’irréalité » a gagné en… réalité. Elle l’est aujourd’hui surtout pour ses personnels qui occupent de plus en plus l’espace médiatique, avec des journalistes invitant des confrères, et réciproquement, et d’autres personnalités du showbiz, du sport et de la politique qui font le tour des studios, en mettant même en scène des querelles intestines.

Lire aussi , « Aux dîners du Siècle, l’élite du pouvoir se restaure », Le Monde diplomatique, février 2011.Cette promotion collective d’une profession dans la hiérarchie sociale se mesure à la place des journalistes en d’autres arènes comme les cercles de puissants : ainsi les diners du Siècle comprenaient 17 journalistes sur 100 membres. De même, la réussite de quelques-uns amène les subordonnés à s’identifier à leur patron, quitte à espérer leur succéder, comme en politique — avec les assistants qui se présentent par leur proximité moins à une émission qu’à son animateur ou producteur inévitablement connu. C’est cette notoriété qui constitue le lien, le crédit, bref ce qui permet la coordination sociale.

Parler d’un clergé séculier n’est pas métaphorique seulement par la fonction d’officiant — ceux qui officient aux cérémonies ordinaires (interviews, invitations) ou exceptionnelles (obsèques) — si on considère que cette économie de la domination fondée sur la célébrité rapproche d’un néo-protestantisme qu’on pourrait dire laïc, car la transcendance n’est pas située dans un dieu identifiable mais suggère une providence indéfinie. Comme le protestantisme et spécialement Calvin avaient rendu un grand service à la bourgeoisie capitaliste en faisant de la réussite matérielle le signe de la grâce divine et l’avait ainsi désinhibée des soupçons chrétiens pesant sur l’argent et le profit, l’économie de la célébrité soude ses bénéficiaires par cet entre-soi où chacun bénéficie du réconfort des autres célébrités rassemblées dans une communauté d’élus. En même temps, la célébrité comme forme de la réussite sociale, signifiée par un nom, opère selon les schèmes de l’individualisme puisqu’il s’agit de la forme la plus personnalisée de la réussite, celle où la célébrité parachève le triomphe de l’individu.

La doxocratie

Comme d’habitude fascinés par l’apparence, en dissertant sur les idoles et les héros, les commentateurs n’ont pas vu que Johnny n’y était pour rien. Il n’y eut guère d’exception sinon pour dénoncer ou bouder. Un peu de temps après, quand même et au titre de la célébrité. Les politiciens furent assurément les plus gênés même s’ils ne partageaient pas les mêmes raisons : il ne fallait pas braquer d’éventuels électeurs. Certains n’évitèrent pas le ridicule en comparant le défunt à Victor Hugo ou à la tour Eiffel. Plus rares furent ceux qui tentèrent de comprendre en s’emparant de l’entreprise de la campagne de presse comme d’un révélateur. Ainsi Régis Debray qui, en retrouvant des souvenirs de vieux marxiste, lisait une configuration de classes où les élites composites rassemblées par la notoriété fondent leur domination sur les classes culturellement les plus modestes. Une « oligarchie populiste » résumait-il non sans quelque pertinence. Oligarchie ? Le terme n’a cependant guère d’autre vertu que de démentir un démocratisme naïf tant tous les régimes politiques sont sociologiquement plus ou moins oligarchiques. Bien des choses changent cependant selon qu’il s’agit d’oligarchie autoritaire ou d’oligarchie pluraliste. Sans que cela interdise de s’interroger sur les apparences. Quant à « populiste », l’emploi est plus flou tant la destination d’une stratégie ne suffit pas à résumer un ordre politique. Il n’est d’ailleurs pas certain que cette stratégie en interdise d’autres selon les circonstances. Et si cette stratégie « populiste » caractérise bien le travail de domination, encore faut-il qu’elle soit efficace et que les dominés soient bien dominés. Derrière le spectacle de douleur unanime donné par les médias, combien de fans endeuillés, de badauds curieux et d’indifférents absents ? Sans oublier qu’on peut endosser les personnages successivement ou simultanément. Assaillie par les messages de condoléances de ses amis, une fan du chanteur réagissait avec un bon sens que d’aucuns jugeraient « populaire » : « Faut pas exagérer, ce n’est tout de même pas mon père ou ma mère qui vient de mourir ». On pourra discuter sur le nom à donner à cet ordre politique nouveau.

Il faut alors regarder du côté des maîtres apparents du jeu, les détenteurs du pouvoir. On comprend aisément que des dirigeants politiques s’emparent des occasions de popularité, s’approchent intimement des personnages publics censés leur donner accès aux bénéfices de leur propre popularité, journalistes et membres du showbiz. Tout cet univers est caricaturé par une mesure annuelle de popularité dont le classement mêle acteurs, chanteurs, journalistes et politiques. Cette année encore, le premier fut un chanteur retraité depuis quinze ans qui a demandé qu’on lui fiche la paix. Cette galéjade, à elle seule une démonstration, n’en est pas moins commentée, sans rire, par la plupart des médias. Il est des indices plus sérieux de cette confusion entre le réel et l’irréel, ils se sont multipliés depuis qu’un acteur de cinéma (Ronald Reagan) est devenu Président des États Unis, avant qu’un autre le devienne à son tour grâce à une fortune bâtie sur la notoriété (Donald Trump). Il ne faut pas omettre les alliances matrimoniales qui amènent des dirigeants politiques à épouser des actrices ou des mannequins. Autant que d’une hypergamie traditionnelle et toujours actuelle où les puissants — des hommes forcément — épousaient des femmes d’un milieu plus modeste mais belles, elle relève d’une endogamie où l’on partage le même milieu, les mêmes situations et donc les mêmes relations. La rubrique matrimoniale mondaine a élargi l’espace de la pipolisation au-delà du cercle des aristocraties et du showbiz au monde politique et, longtemps cantonné aux cérémonies privées, a débordé les frontières des manifestations publiques, réceptions officielles ou hommages funèbres.

De là à se rendre à deux cérémonies d’hommage funèbre à la suite, comme l’a fait le président de la République, il n’y a pas qu’un calcul intuitif sur l’exploitation émotionnelle d’un deuil mais aussi les sondages qui ont mesuré en quasi instantané l’émotion suscitée par ces deux morts dans le public. Dans le public ? Du moins dans ces échantillons de sondés semi-professionnels qui sont régulièrement appelés à donner leur opinion. Difficile d’imaginer qu’ils ne se déclarent pas émus par le décès d’un vieux monsieur au yeux bleus et par celui d’un chanteur populaire dont l’information rapportait la lente agonie. Nous n’aurons pas droit à ces sondages confidentiels rangés dans les archives du Service d’information gouvernemental pour y dormir à l’abri de toute investigation. Les commanditaires s’y fient-ils ? Il est difficile de le croire, et pourtant… La crédulité des politiques est d’autant plus encouragée que la cote de popularité du Président de la république a accusé une hausse forte et inédite. Elle fut immédiatement attribuée à un « effet Johnny ». Peu importe que l’émotion soit initialement réelle ou pas, elle le devient sous l’effet des médias qui la mettent en scène et recrutent des agents d’émotion ponctuels parmi des gens sincères, amis et fans. Peu importe même qu’elle soit durable ou brève. Elle sera entretenue en attendant une autre occasion. Dans le cas de Johnny, la France éplorée le demeure sur les ondes sans faillir. Inventant un peuple de fans inconsolables. En l’occurrence, il est probable que ces fans resteront très minoritaires. Ainsi va ce régime que l’on pourrait appeler doxocratie puisqu’il fonctionne par la fabrication de l’opinion.

Un étrange silence

Pourquoi cette combinaison sociale, cette formule de domination est-elle anti-démocratique ? On se limitera ici à une dimension particulière d’une menace générale sur le pluralisme de idées et des élites. La vague unanimiste opère comme un contrôle social redoutable. Les voix dissonantes sont dissuadées par la vague médiatique qui incite plutôt au silence tant elle paraît inexorable parce qu’elle est immense et ramène les individus à des entités négligeables mais aussi parce qu’elle est décourageante de grégarité. Pour ne pas dire de bêtise. Le mot est lâché. Comment peut-on émettre un point de vue critique qui semble englober tant de gens — même en prenant des précautions et soutenir un raisonnement aux antipodes des émotions brutes sans être déjà coupable de morgue et d’arrogance ? Sur les réseaux sociaux, piloris et potences seront dressés. Aucune précaution ne saurait y suffire. Cela n’est évidemment que métaphore et ne comporte aucun danger réel, c’est-à-dire physique. La prévisibilité n’en souffle pas moins la question : à quoi bon ?

Lire aussi , « Critique des médias, une histoire impétueuse », Le Monde diplomatique, avril 2016.Critiquer les dirigeants politiques, rien de plus facile en démocratie parlementaire. En principe. Et il est vrai qu’ils ont droit à des volées de critiques, parfois injustes. Critiquer les médias est une activité banale mais difficile dans les médias eux-mêmes. Critiquer les journalistes est encore plus ardu, même si tous les journalistes ne sont pas également concernés. Dans une profession qui se sent souvent critiquée, voire mal aimée, les nerfs sont à fleur de peau et les réactions souvent corporatistes. Critiquer les personnages du showbiz est d’autant plus difficile que leur statut de saltimbanque semble les mettre à l’abri puisqu’ils jouent des rôles ou chantent, avec talent ou non. Privilège d’artistes. Et s’ils s’expriment politiquement, s’ils ont des amitiés politiques, comment leur dénierait-on les droits communs des citoyens ? Ces relations se multiplient-elles, s’intensifient-elles jusqu’aux mariages et autres relations d’intimité amoureuse, familiale ou amicale qu’elles sont protégées par le statut de la vie privée, même si la presse people en fait ses colonnes et les conversations mondaines ses rumeurs. Enfin, objecte-t-on, si cela fait les unes c’est bien parce que le peuple apprécie. Ce présupposé a d’ailleurs organisé la coordination de la célébration funèbre. Et si les foules adorent, comment les en priver ? Et quel cuistre se permettrait-il de mettre en cause le mauvais goût des gens simples ? Des vaniteux forcément. Et si, conscients de la difficulté et malgré tout soucieux de porter le regard critique, ils redoublent de rigueur argumentative, de références, ils se dévoileront. Des intellectuels forcément. Ainsi, sentant les vents mauvais, les critiques, les esprits chagrins et les misanthropes se taisent. À quoi bon ? se disent-ils. Moins par crainte des insultes que par lucidité sur l’avenir. Les répliques de la vague médiatique perdurent, à en juger par l’apparition régulière de Johnny sur les écrans et des révélations décalées dans le temps ; l’industrie de l’irréalité a un avenir radieux. À la vitesse où les célébrités meurent, il y aura bien des hommages funèbres à concélébrer.

L’Intifada de 1987, trente ans de présent

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Image tirée du site du colloque. © Joss Dray

« Vous n’avez pas le droit de mépriser le présent. »(Baudelaire)

Le passé est vivant. Il vit en nous. Non pas parce que nous en sommes le résultat effectif, mais bien plutôt parce que nous l’interpellons pour vivre aujourd’hui, et croire en demain. Cela n’a peut-être jamais été aussi vrai que dans le cas de la révolte populaire palestinienne déclenchée le 9 décembre 1987 et dont le nom — Intifada (« soulèvement », en arabe) — est entré dans l’histoire comme dans les dictionnaires.

Jamais cette Intifada n’a été aussi vivante qu’aujourd’hui, au moment où l’on célèbre son trentième anniversaire. C’est le sentiment qui ressort, en tout cas, du colloque intitulé « L’Intifada de 1987, histoire et mémoire », organisé par l’Institut d’études palestiniennes du 24 au 30 novembre dernier, en collaboration avec le centre culturel et artistique Dar Al-Nimer. Se jouant des frontières, il s’est tenu dans trois villes, trois agoras, à la fois : Birzeit (Ramallah), Gaza et Beyrouth.

« Al tarikh mazal hayy » (« le passé est toujours vivant »), pouvait-on entendre répéter, encore et encore, comme une incantation.

Parmi les questions principales abordées au cours du colloque et des discussions afférentes figuraient les problématiques essentielles du métier d’historien, plus précisément les paramètres temporaux et spatiaux qui permettent de dégager le sens de l’« événement » — ici, une rébellion née du refus d’une occupation militaire et de l’abduction d’un territoire. Mais d’autres acteurs entrent également en jeu : le militant politique, notamment, ou l’artiste engagé, à l’image des intervenants de la session « Intifada et culture », qui ont réfléchi aux thématiques telles que « L’Intifada comme événement artistique » ou « Le dilemme de la scène finale dans un film sur l’Intifada ».

Quand l’Intifada commença-t-elle exactement, et quand se termina-t-elle ? Était-ce une révolte spontanée ou une insurrection planifiée ? En quels lieux se déroula-t-elle ? Quels rôles jouèrent l’« intérieur » (les territoires occupés) et l’« extérieur » (l’Organisation de libération de la Palestine, basée à l’époque à Tunis) ? Et quid de l’« intérieur de l’intérieur » (« Dakhil Al-Dakhil », selon la formule de l’avocat Mohammed Miari), c’est-à-dire les Palestiniens d’Israël (dits « de l’intérieur ») ? Sans oublier l’« extérieur de l’extérieur » (les réfugiés et la diaspora), comme l’ont fait remarquer plusieurs intervenants du volet beyrouthin du colloque, rappelant que les communautés de Palestiniens en exil ne pouvaient se confondre avec les dirigeants politiques et leurs décisions…

Peut-on comprendre la stratégie populaire et non armée de l’Intifada de 1987 en faisant abstraction de la lutte armée et de la guérilla menée par les fedayins dans les années 1960 et 1970 ? Comment saisir cette insurrection dans sa spécificité, sans la séparer du vaste mouvement de résistance contre la colonisation qui dure depuis cent ans ?

Dès les premières discussions, la question du nom et de l’événement a été mise en avant : pourquoi parler de « première Intifada », alors qu’il y a eu par le passé de nombreux soulèvements de masse en Palestine, celui de 1987 s’inscrivant, à sa façon particulière, dans la continuité d’un mouvement irréductible de résistance au colonialisme ? Il vaudrait mieux, comme l’ont suggéré certains, parler de « grande Intifada populaire », en écho, notamment, à la « grande révolte » de 1936, ancrée dans la mémoire collective palestinienne (1). Et si ce n’était pas la première, ce ne sera certainement pas la dernière, ni même l’avant-dernière… Car, sans l’ombre d’un doute, bien que les questions abordées lors de ce colloque étaient souvent des questions d’historiens, elles parlaient d’abord du présent, et elles se conjuguaient surtout au futur. Questions d’historiens, donc, mais pas d’antiquaires.

Prendre l’année 1987 pour point de départ constituerait ainsi un déni des multiples luttes qui ont été conduites par les Palestiniens au cours des décennies précédentes, et cautionnerait le discours — désormais hégémonique — sur la logique des « négociations de paix ». Surestimer le poids de l’« intérieur » serait aussi une forme de dénégation du rôle, souvent primordial, qu’ont joué les réfugiés et la diaspora dans la geste palestinienne.

L’une des choses les plus frappantes au cours de ce symposium fut l’entente générale — malgré certaines dissensions, et parfois quelques accrochages — qui régnait entre les différents représentants ou sympathisants des partis politiques palestiniens. Islamistes, nationalistes, socialistes et indépendants se sont tous accordés sur les enjeux cruciaux auxquels doivent faire face les Palestiniens et sur le modèle que constitue l’Intifada de 1987, qui peut être vue comme une métonymie de la révolte. Le signe, sans doute, de la situation d’urgence dans laquelle se trouve le peuple palestinien, mais peut-être aussi le présage d’une nouvelle ère qui s’ouvre.

En détournant le mot célèbre de Nietzsche sur l’art et la réalité, nous pourrions dire qu’en Palestine (et ailleurs), « nous avons besoin de l’histoire pour ne pas périr du présent. »

Macron décodeur-en-chef

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Gérôme, « La Vérité sortant du puits armée de son martinet pour châtier l’humanité », 1896

« Alors les Décodeurs se réveillèrent, et ils virent qu’ils avaient l’air con… »Lamentations, chapitre 2, verset 2 (révisé)

Par un effet de retour, que deux innocents grecs, Jocaste et Laïos, avaient bien expérimenté en leur temps, voilà donc les Décodeurs victimes du tragique destin qu’ils ont eux-mêmes consciencieusement œuvré à mettre en branle. L’histoire commence comme la charge de la brigade légère (ou lourde ?). La vérité est en danger, elle appelle à la rescousse. Mais qui pour lui venir en aide ? Qui sinon des vocations pures ? La presse libre et indépendante, la presse démocratique. Elle vole au secours.

On en était là de l’épopée, les Décodeurs assuraient la maintenance de la vérité en régime de croisière, bref les choses allaient gentiment leur train, quand plus sérieux qu’eux arrive leur indiquer d’autres manières : la distribution des gommettes faisant un peu léger, on y mettra maintenant les moyens de l’État.

Et voilà comment on se retrouve avec un projet de loi sur les fake news (1).

Il n’était pas besoin d’être grand clerc pour apercevoir dès le départ que tout s’était mis de travers dans cette histoire, et poursuivrait de même. Il fallait d’abord que la presse de service s’abuse considérablement quant à son propre crédit dans la population pour s’imaginer en rempart de correction, elle dont la mission d’intoxiquer n’est même plus vécue comme une mission tant elle est devenue une nature seconde. Il fallait ensuite ne pas craindre les balles perdues du fusil à tirer dans les coins, les médias rectificateurs, à défaut d’avoir songé à se blinder le fondement, étant voués à se retrouver eux-mêmes rectifiés par derrière, c’est-à-dire systématiquement interrogés pour leur substantielle contribution au faux général de l’époque. Ce qu’un minimum de décence réflexive – ou de régulation du ridicule – a manqué à produire : un réveil, il se pourrait que la loi anti fake news de Macron y parvienne, mais trop tard et avec quelques effets rétroactifs pénibles. En tout cas, et c’est le moins qu’on puisse dire, l’annonce n’a pas fait pousser des cris de triomphe dans les rédactions, même les plus en pointe dans la croisade du vrai – où, pour la première fois, on perçoit comme un léger sentiment d’alarme. On aurait pu imaginer une sorte d’exultation à la reconnaissance suprême du bien-fondé de la cause. L’ambiance est plutôt à une vague intuition du péril. De fait, le pas de trop est celui qui jette d’un coup une lumière un peu blafarde sur tout l’édifice.

Égoutiers de l’Internet ?

Car il devient de plus en plus difficile de se déclarer soldat de la vérité. L’enrôlement plus ou moins crapoteux au service du grand capital numérique n’était déjà pas bien glorieux – on ne s’était d’ailleurs pas trop précipité pour faire la publicité de ces collaborations. On apprend en effet depuis peu que bon nombre de rédactions touchent de Google et Facebook pour mettre à disposition des équipes de journalistes-rectificateurs aidant à purger les tuyaux. Il faut vraiment que l’argent manque pour accepter ainsi de se transformer en égoutiers de l’Internet pour le compte des Compagnies des Eaux qui prospèrent en surface. Bien sûr ça n’est pas de cette manière qu’on présente les choses, cependant même ré-enjolivée en cause commune de la vérité démocratique, l’association normalisatrice avec les grossiums de la donnée produit déjà un effet bizarre.

Il faut sans doute être un Décodeur, ou en l’occurrence un Désintoxicateur (Libération), pour se promener dans cet environnement en toute innocence, et même casser le morceau avec une parfaite candeur : « Nous, par exemple, on travaille pour Facebook, comme un certain nombre de médias en France travaillent pour Facebook et rémunérés par Facebook pour faire le ménage dans les contenus qui circulent », déclare Cédric Mathiot avec une complète absence de malice (2) – on voit très bien Hubert Beuve-Méry ou Sartre envisageant de « faire le ménage dans les contenus » en compagnie d’IBM ou de (la nommée avec préscience) Control Data Corporation.

On voudrait donc éclairer l’égoutier heureux sur les commanditaires pour qui il pousse le balai : Google News par exemple a considéré récemment qu’un site comme le World Socialist Website (WSW) méritait d’être évacué comme de la déjection ordinaire. C’est que Chris Hedges y a donné un entretien avertissant des risques de censure par Google – qui n’a pas plu à Google. Le malheureux Hedges a donc aussitôt disparu des référencements par Google News. Quant au WSW, il a vu sa fréquentation acheminée par Google chuter de 74 %. Comme le nettoyage est général, treize des principaux sites de gauche étatsuniens dégringolent de 55 % (3). À Libération donc, pour le compte de Facebook, ou de qui voudra (paiera), et au nom de la vérité, les Désintoxicateurs « font le ménage » – des mots parfaitement choisis pour signifier une tonique promesse de démocratie.

Lire aussi , « Censure et chaussettes roses », Le Monde diplomatique, janvier 2018.C’est toujours le même étonnement, éternellement renouvelé, que d’entendre un Décodeur ou assimilé prendre la parole pour livrer sa philosophie du métier, à chaque fois la même confirmation performative du naufrage de pensée en quoi consistent les idées mêmes de fake news ou de post-vérité. Plus qu’un étonnement en fait, une sorte de vertige : le Désintoxicateur ne voit même pas le problème. On notera à sa décharge que ses employeurs semblent ne pas l’avoir vu davantage. À moins que leur situation de trésorerie les ait dissuadés de le regarder trop longtemps. Mais alors pourquoi, en si bon chemin, se mettre à toussoter au moment de recevoir les consécrations de la loi ? Un rude objecteur remarquerait qu’à l’inverse de Google et Facebook, la loi, elle, ne paye pas. Ne restent que les incommodités de la compromission – rachetés par rien. Ça n’est pas faux.

… ou attachés de bureau au ministère de l’intérieur ?

C’est même si vrai que, jusque dans les directions de médias les plus fanatiques, on pressent confusément la mauvaise affaire symbolique de se retrouver trop visiblement absorbées dans le processus en cours de fusion organique des puissances : capital, État, médias. Les distinctions institutionnelles purement nominales – « les entreprises », « les médias », « le gouvernement » –, devenues entièrement factices, feuilles de vigne recouvrant une indifférenciation déjà perceptible de tous, n’en étaient que plus dramatiquement précieuses, précisément parce que c’est tout ce qu’il reste : des noms usités, pour travestir le réel, au travers desquels on commence quand même à voir a giorno, mais vitaux pour tenter de préserver les derniers semblants. Libération passe la loque pour Facebook, c’est déjà un peu lourd – si c’est rémunérateur. Mais couler cet attelage dans un ministère de l’intérieur étendu, ça va devenir trop – et finir par se voir.

Car voilà toute l’affaire : c’est qu’à un processus de fusion externe, en répond un autre, interne – à l’appareil d’État. Et les deux entrent en coalescence pour produire un résultat tout à fait inédit. Le processus interne est celui qui voit la différenciation fonctionnelle de l’appareil d’État s’effacer tendanciellement pour le menacer de s’effondrer en un double ministère sec – dont un gigantesque ministère de l’intérieur. De quoi en effet l’État s’occupe-t-il essentiellement désormais ? De deux choses : le service du capital, et le contrôle des populations. Les inégalités en fusée et l’État social conduit au délabrement par paupérisation délibérée du côté du Ministère des amis, il ne reste forcément plus que des solutions de « maintien de l’ordre » du côté du Ministère des inconvénients. De ce côté-là, la fusion justice-police est déjà bien avancée – il suffit de se repasser les exploits des procureurs, de leurs réquisition, de leurs appels, depuis l’affaire Adama Traoré jusqu’à celle du quai de Valmy, et chaque fois qu’il s’agit de prendre le parti de la police ou d’avoir affaire à quelque forme de contestation. Comme il se doit, l’ensemble coercitif est parachevé par l’état d’urgence qui, converti en droit ordinaire, offre les moyens d’une toute nouvelle politique de « prévention » : surveiller les opposants politiques, si besoin est frapper ou intimider les éléments un peu remuants.

Lire aussi , « La loi des suspects », Le Monde diplomatique, juillet 2017.La prévention remonte maintenant d’un cran quand elle envisage de surveiller non pas des agités déclarés, mais la circulation des idées qui pourraient en conduire d’autres à l’agitation. C’est en ce point précis que les deux processus de fusion, interne et externe, se rencontrent, au moment où les médias se retrouvent intégrés dans la grande division du travail de surveillance, et comme délégataires d’une nouvelle mission de maintien de l’ordre – de l’ordre des esprits. Mais sans avoir rien demandé, et en se trouvant un peu embarrassés, forcément, de cette attribution de fait, sinon de droit. C’est que l’image de soi en défenseur de la liberté en prend un vieux coup de se voir « rouage externe » du grand ministère de l’intérieur, par ailleurs en train de réduire à lui une bonne moitié de la structure gouvernementale.

Si elle est oxymorique, l’idée de « rouage externe » dit pourtant bien ce qu’il y a à dire : l’effacement des frontières institutionnelles et l’intégration progressive de tous les pouvoirs dans un complexe unique. L’absorption complète des médias dans le capital est déjà une évidence quand dix milliardaires contrôlent 90 % de la diffusion des quotidiens nationaux (4). Mais leur satellisation par un appareil étatique de contrôle de l’information vraie fait partie de ces variations de degré qui menacent d’une modification qualitative de la perception.

Médias français : qui possède quoi

Médias français : qui possède quoi

Médias français : qui possède quoi

1er décembre 2016

Voilà donc le tragique destin. Les médias ont cru se sauver de la misère et de la déconsidération en jouant comme dernière cartouche la croisade contre les fake news. Mais plus puissant et plus opportuniste qu’eux vient ramasser la mise et s’établir comme le Parrain de la vérité – en les vassalisant de fait. Ça n’est pas que les médias n’aient pas déjà largement pris le pli de la vassalité : quand Le Monde ou L’Obs se retrouvent dans la main de Xavier Niel qui ne cache rien de son idée générale de la presse – « quand des journalistes m’emmerdent, je prends une participation dans leur canard et ensuite ils me foutent la paix » (5) –, quand Libération ou L’Express se voient en équivalent numérique de l’ancien radio-réveil offert avec un abonnement, en l’occurrence à un fournisseur d’accès, on ne se sent pas exactement fouetté par le grand vent de la liberté.

Mais, signe des temps, si, nécessité faisant loi, l’on s’est très bien accommodé du dernier degré de vassalisation économique, on continue de faire des mines au moment d’entrer dans l’orbite de l’État. C’est qu’on tentait de survivre en trayant la rente morale offerte par des Erdoğan, Orban, Poutine et des Kim Jong variés. L’exercice de la posture va devenir plus difficile dans ces conditions où soi-même on consulte au ministère. On était Samuel Laurent ou Cédric Mathiot quand même, c’est-à-dire pas n’importe quoi, et voilà qu’on se réveille comme chef de bureau à la sous-direction de la vérité au ministère de l’intérieur. Technicien de surface chez Facebook à la rigueur, mais cadre B de la fonction publique, non !

La vérité de « la vérité »

Ça n’est pas tant, ici, que le changement de degré produise le changement de nature, mais qu’il le révèle – car il était acquis depuis un certain temps déjà. En réalité la perception commençait d’être acquise elle aussi, mais il est indéniable que le patronage étatique dans la certification de la vérité lui fait connaître un fameux progrès. Et, coïncidence malheureuse, en venant miner la stratégie résiduelle même que déployaient les médias pour planquer la merde au chat : quand on croule sous le poids de ses propres manquements, qu’on est sous le feu de la critique, et qu’on n’a aucune intention de rien changer, il reste toujours la possibilité de reprendre l’initiative en inventant des croisades subalternes : le complotisme et les fake news.

Choix terriblement mal inspirés en fait puisqu’ils étaient l’un comme l’autre susceptibles de se retourner en incrimination des incriminateurs. L’obsession du complotisme en dit au moins aussi long sur l’existence réelle de délires conspirationnistes que sur un certain tour d’esprit propre aux hommes de pouvoir qui vivent objectivement dans l’élément du complot, et dont les journalistes, quoique demi-sels d’antichambre, ont fini par s’imprégner à force de proximité. Si bien que la chasse aux complotistes a tout d’une manifestation de mauvaise conscience projective (6) – mais évidemment parfaitement méconnue comme telle (voir aussi l’encadré ci-dessous).

Le cas de la fake news est plus désespérant encore. Il y a d’abord l’indigence intrinsèque de la notion, révélée par ses philosophes mêmes : « fake news », nous avertit Cédric Mathiot, « a un sens très particulier » – qui justifie donc l’intervention d’intellectuels spécifiques – : il s’agit d’« une véritable volonté de tromperie, (d’)une information fausse, fabriquée à dessein pour tromper ». L’idée, d’une nouveauté littéralement terrassante, méritait bien de recevoir son concept à part entière, et surtout d’être dite en anglais. Car on n’avait jamais rien vu de tel – même pas en français. « Un sens très particulier » donc. Pour commencer.

Mais si c’était là le seul problème de la fake news… Hélas son inconvénient principal est ailleurs : là encore, dans sa traîtresse réversibilité. Car évoquer la propagation de fausses nouvelles fait immanquablement revenir en mémoire l’édifiant bilan de la presse officielle en cette matière, depuis ce qu’Acrimed appelle assez justement le journalisme de préfecture (7) jusqu’à la préparation du terrain pour des guerres à morts par milliers (8) (mais le compte Twitter de BHL ne risque rien). De même, donc, que pour le complotisme de l’anticomplotisme, la chasse à la fake news est la mauvaise conscience renversée de la fake news institutionnelle. Reproduisant par-là le système général des autorisations différentielles propre aux inégalités sociales, système par lequel le même acte est jugé différemment selon la position sociale des commettants, la dénonciation de la fake news des gueux a pour objet de faire oublier la fake news des puissants (ou des bons puissants contre les mauvais), la fake news protégée par les habitudes de la respectabilité et les tolérances de l’entre-soi.

Mais elle vise plus encore à substituer sa question secondaire à une question principale, par le projet de réorganiser tout le débat sur les médias autour du problème somme toute inepte de la « vérité » – car il est inepte une fois qu’on a accordé cette trivialité que tout commence avec l’établissement correct des faits –, quand le seul problème important est celui de la détention – actionnariale. Que le fonctionnement général de l’information soit infiniment moins affecté par quelques cinglés qui délirent, ou quelques officines qui intriguent, que par le fait massif de la propriété capitaliste concentrée, c’est ce que peinent visiblement à comprendre les demeurés du fact-checking qui font la chasse aux mouches pendant que le gros animal est dans leur dos.

Ça n’est donc même pas que la diversion « fake news » tourne court, c’est qu’elle revient façon manivelle. Mais la foirade est complète quand le nouveau partenariat des médias et du parquet (si les premiers ne s’y trouvent pas embarqués de leur complet aval) achève de mettre en pleine lumière l’indésirable vérité de la « lutte pour la vérité ». Il n’y avait plus que l’idéologie professionnelle de la corporation pour croire à cette vaste blague de la presse contre-pouvoir, quand tout atteste qu’elle est passée entièrement du côté des pouvoirs. Au moins restait-il ce qu’il fallait de distinctions formelles pour faire perdurer l’illusion auprès des moins avertis. Évidemment, si les médias installent leurs « cellules » quelque part entre le palais de justice et la préfecture de police, tout ça va devenir plus compliqué.

Politique-fake news

Que tout se voie davantage, c’était bien une prévisible némésis pour les médias du macronisme. Car s’il y a une maxime caractéristique du macronisme, c’est bien moins « En marche » que « Tout est clair ». Avec Macron tout est devenu très clair, tout a été porté à un suprême degré de clarté. L’État est présidé par un banquier, il offre au capital le salariat en chair à saucisse, il supprime l’ISF, il bastonne pauvres et migrants, dix ans plus tard et après n’avoir rien compris, il rejoue la carte de la finance. Tout devient d’une cristalline simplicité. En même temps – comme dirait l’autre – il n’a pas encore complètement rejoint son lieu naturel, le lieu du cynisme avoué et du grand éclat de rire ; et la guerre aux pauvres ouverte en actes ne parvient pas encore à se déclarer en mots. Il faut donc prétendre l’exact contraire de ce qu’on fait, scrupule résiduel qui met tout le discours gouvernemental sous une vive tension… et, par conséquent, vaut à ses porte-parole un rapport disons tourmenté à la vérité. Se peut-il que le schème général de l’inversion, qui rend assez bien compte des obsessions anticomplotistes et anti-fake news, trouve, à cet étage aussi, à s’appliquer ? C’est à croire, parce que la masse du faux a pris des proportions inouïes, et qu’il n’a jamais autant importé d’en rediriger l’inquiétude ailleurs, n’importe où ailleurs. On doit prier dans les bureaux pour que se fassent connaître en nombre de nouveaux fadas, des équivalents fonctionnels de la Pizzeria Comet Ping Pong (9), des hackers russes, des allumés des chemtrails ou de n’importe quoi pourvu qu’on puisse dire que le faux, c’est eux. Mais qu’heureusement l’État de médias veille.

Lire aussi , « Macron ou le rêve patronal en ordonnances », Le Monde diplomatique, décembre 2017.En attendant que ces faux adversaires et vrais renforts arrivent, et qu’on puisse lancer contre eux la brigade très légère des fact-checkers, éventuellement accompagnée d’un panier à salade, il faut bien parler quand on est ministre et qu’on n’a pas réussi à éviter tous les micros (vraiment, on comprend qu’ils se planquent). Muriel Pénicaud explique sans ciller que la nouvelle disposition des ruptures conventionnelles constitue « un atout pour les salariés » (10). La même, qui a constitué une partie de son patrimoine par des plus-values sur stock-options consécutives à ses licenciements, est bien partie pour économiser 49 000 euros d’ISF – et l’on se demande ce qui, de ce fait ou de la fausse nouvelle d’un compte de Macron aux Bahamas, offense le plus l’esprit public. En tout cas Benjamin Griveaux n’en jure pas moins que « le gouvernement ne fait pas de cadeaux aux riches » (11). Gérard Collomb affirme, lui, qu’avec la loi antiterroriste « nous sortons de l’état d’urgence ». Éduqués à faire où on leur dit de faire, les médias ont répété à l’unisson. Avec évidemment un niveau de dissonance à y laisser la santé mentale : « sur le fond, les mesures d’exception vont devenir la norme » écrivent ainsi Les Échos – qui n’en titrent pas moins « Macron tire un trait sur l’état d’urgence » (12). On rapporte que Collomb en a marre de « passer pour le facho de service ». Mais c’est qu’il lui revient fonctionnellement le mauvais bout dans la ficelle de la double vérité – allez, c’est le bout où l’on récupère quand même l’admiration de l’extrême droite. Le bon bout, Macron se l’est gardé pour lui : « nous devons accueillir les réfugiés, c’est notre devoir et notre honneur ».

Tout ça fait déjà beaucoup, mais le mensonge s’élève pour ainsi dire au carré quand il est celui d’un discours qui porte sur le mensonge. Élevant tout cet ensemble à un point de perfection, et se rendant elle-même au tréfonds de l’abaissement, la ministre de la culture n’hésite pas à déclarer que la future loi sur les fake news vise « à préserver la liberté d’expression » (13). Boucle bouclée – et le ministère de l’intérieur a maintenant également absorbé une direction de la culture rectifiée.

S’il faut conserver quelque chose de la philosophie du Désintoxicateur, accordons-lui que le concept de la fake news est bien là, dans sa pureté : nous avons affaire à un ensemble de dires outrageusement faux, « fabriqués à dessein pour tromper ». Prévisible ironie, la loi sur les fake news est bien le terminus de la vérité – mais rejoint au nom de la lutte contre la post-vérité. Que la némésis de la presse macronienne advienne par Macron lui-même, n’est-ce pas finalement dans la logique des choses ? Ce n’est plus un gouvernement, c’est une fanfare à fake news. Tous les instrumentistes semblent bourrés, en tout cas cornent à tout va. Mais en fait sous la férule et dans la crainte du chef d’orchestre. Et, comme le veut cette forme renversée de cohérence désormais familière, le tout selon une partition attaquant les libertés au nom de la lutte contre « l’illibéralisme ».

Remarquable trajectoire, même si elle n’est faite que pour étonner les « faiseurs de barrage ». Prétextée par les outrances de Trump, la course à la vérité s’achève dans un devenir-Trump de Macron, qui plus est embarquant la presse des vraies-news dans ce grand huit d’où l’on aura sans doute à ramasser quelques désorientés. Que Macron se mette à avoir des airs de Trump, ce sont leurs politiques fiscales semblables qui l’ont déjà laissé entrevoir (14). Voilà qu’ils se ressemblent maintenant par leur commune obsession pour les fake news, simultanément propagateurs – bien sûr pas encore au même degré de grossièreté – et promettant de les éradiquer. Comme l’autre, Macron a visiblement envie d’être quelque chose in chief. Pourquoi pas Decoder in chief alors ?

On devrait tenir pour un symptôme sérieux qu’un gouvernant se prenne d’obsession pour les fake news : le symptôme de celui qui, traquant les offenses à la vérité, révèle qu’il est lui-même en délicatesse avec la vérité. Nous en savons maintenant assez pour voir que la politique entière de Macron n’est qu’une gigantesque fake news – parachevée, en bonne logique, par une loi sur les fake news. Entre le parquet et les cellules de Décodeurs, il y a de la catastrophe logique dans l’air, et de la souffrance au travail qui s’annonce. Ou peut-être pas.

Obsessions complotistes, obsessions anticomplotistes

On comprend sans peine que Libération et Le Monde, mais parmi tant d’autres, se soient fait une joie de l’étude Fondation Jean-Jaurès-Ipsos sur les tendances complotistes de la population. Les deux principales écuries à Décodeurs n’allaient tout de même pas laisser passer ce caviar d’une justification en quelque sorte ontologique. Ni la presse en général manquer une occasion de réaffirmer que le monopole de l’information vraie comme de la pensée juste lui appartient. On notera au passage comme est bien conçue cette « étude », qui accole les 75 % de la population manifestant une défiance envers les médias avec le reste de la benne à complotistes, l’idée étant de suggérer, comme il se doit, que douter des médias et battre la campagne conspirationniste, c’est tout un. À l’évidence, ce qu’on pourra maintenant appeler le « massif du pouvoir », attaqué de toutes parts, n’est plus capable, pour se maintenir dans son monopole de la direction générale, de trouver d’autre solution que… la disqualification de la population même : elle est économiquement illettrée, politiquement errante, et d’une crédulité vicieuse.

On sait donc maintenant avec une certitude scientifique au moins égale à celle de l’institut Ipsos que le massif du pouvoir a perdu tout moyen de comprendre ce qui lui arrive – état de stupidité qui fait pressentir les conditions dans lesquelles, incapable de la moindre rectification de trajectoire, il finira : mal (car il finira bien un jour). Il a notamment perdu les moyens de comprendre ce qui se joue avec l’inflammation conspirationniste – dont il reste à prouver, tous effets de loupe des réseaux sociaux mis à part, qu’elle a effectivement crû. C’est que Rudy Reichstadt et la Fondation Jean Jaurès se seraient sans doute empressés de comptabiliser comme complotistes les « satellites détraquant la météo » qui faisaient les beaux jours des comptoirs des années 60 – et les satellites étaient russes !

Que la pensée publique erre dans le mouvement naturel de faire sens de ce qui lui arrive, c’est un fait dont la nouveauté historique demanderait à être beaucoup discutée. Que, par un effet paradoxal, l’ampleur des élucubrations ait crû à proportion de l’élévation du niveau général d’étude, c’est-à-dire du nombre des gens s’estimant autorisés à « avoir des idées » sur le cours du monde, et à les dire, maintenant même à les publier, c’est probablement une piste plus robuste. Que l’obstination des pouvoirs à confisquer la conduite des affaires publiques en en dissimulant à peu près tout des gouvernés, fouette la production populaire des conjectures, qui plus est dans un contexte d’illégitimité croissante des gouvernants, et avec nécessairement la croissance, là encore simplement proportionnelle, de sa part égarée, ce serait aussi une piste à creuser. Mais on comprend que ni Le Monde ni Libération n’en aient la moindre envie. Quant à la cabane de jardin de la rue de Solférino (la Fondation Jean Jaurès) il y a beau temps qu’elle a perdu le dernier outil qui lui permettrait de creuser quoi que ce soit.

Au nom de la nation

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« APRES LA MORT »
cc Richard Grandmorin https://flic.kr/p/dsM1JP

Lors de l’hommage national rendu à Jean d’Ormesson, le vendredi 8 décembre 2017, soudain, « le ciel a viré au bleu, comme s’il ne pouvait en être autrement (1) » : exemple parmi d’autres de l’élan d’admiration qui a animé, sans faiblir, ceux que Léon Bloy jadis nommait « les gagas des journaux » ainsi qu’un nombre marquant de politiques. Pudiquement, une gaze fut jetée sur le journaliste d’Ormesson, celui qui écrivait en 1975 dans Le Figaro, dont il était alors directeur général, au moment de la chute de Saïgon : « Et Saigon est libéré dans l’allégresse populaire. Libéré ? L’allégresse populaire ? », ce qui suscita une belle chanson de Jean Ferrat en riposte — « Ah, monsieur d’Ormesson, Vous osez déclarer Qu’un air de liberté Flottait sur Saïgon »… Le doux d’Ormesson « représente la bienveillance », comme dit François Busnel, on n’insistera donc pas sur ses mots en 1983 sur France Inter à l’encontre du directeur du journal L’Humanité , Roland Leroy — « vous avez été ignoble, comme d’habitude »… Mais chacun saura qu’il reprit un vers de Louis Aragon, comme titre d’un de ses livres, et que ce vers, « je dirai malgré tout que cette vie fut belle »… fut même à l’honneur lors de l’hommage, sur le livret de messe, splendide oecuménisme. D’ailleurs, il affirmait son admiration pour le poète, ce qui prouve bien qu’il n’était pas sectaire — et le porte-parole du Parti communiste français a salué « son regard sur le monde ». Bref, comme l’ont dit Les Inrocks, il était « charmant », quant à La Croix, c’était « Jean d’O le Magnifique », ce que résume, dans la matinale de France Inter (6 décembre), Fabrice Luchini : « il incarnait la grande aristocratie », « il a réussi sa vie »,« il était du côté de la légèreté ». Que cela donne droit à un hommage de la nation, avec messe en prime, manque un peu d’évidence.

C’est peut-être dans l’allocution du président de la République qu’on trouve quelques pistes contribuant à expliquer ce remarquable honneur. M. Emmanuel Macron s’est montré particulièrement inspiré en évoquant celui qui, « antidote à la grisaille des jours », nous aurait enseigné « que la liberté et le bonheur restent à portée de main, et que la littérature en est le meilleur viatique », ce qui est un propos d’un vide si profond qu’il en donne le vertige.

À l’évidence, ce n’est pas vraiment l’œuvre qui est saluée, quand bien même le président de la République s’emploie à en chanter la « palette », et d’ailleurs, personne à ce propos ne crie au talent étourdissant. C’est bien plutôt ce que Jean d’Ormesson incarnait, c’est-à-dire, selon M. Macron, dans la tribune qu’il écrivit pour l’occasion (Le Figaro, 5 décembre) « le meilleur de l’esprit français ». Il n’est pas sans intérêt de regarder d’un peu près ce qu’est cette quintessence :

« La France est ce pays complexe où la gaieté, la quête du bonheur, l’allégresse, qui furent un temps les atours de notre génie national, furent un jour, on ne sait quand, comme frappés d’indignité. On y vit le signe d’une absence condamnable de sérieux ou d’une légèreté forcément coupable. Jean d’Ormesson était de ceux qui nous rappelaient que la légèreté n’est pas le contraire de la profondeur, mais de la lourdeur. »

« Furent un jour, on ne sait quand, comme frappés d’indignité ». Le terme est fort, d’autant qu’il n’est pas très loin de l’adjectif « national », et évoque, de façon subliminale, l’indignité nationale dont furent « frappés » certains à la Libération… Et cette dénonciation officielle d’un supposé esprit de sérieux tout-puissant, qui aurait « condamné » la gaieté, a comme un air de famille avec l’esprit des « hussards », ces écrivains des années 1950-1960, assez frénétiquement hostiles à l’existentialisme et au marxisme, dont Roger Nimier fut le héraut, qui se voulaient dandies, trop sensibles au tragique de la vie humaine pour ne pas en célébrer la frivolité, ennemis de tout engagement, mais s’inscrivant, avec une ardeur désinvolte, quand même… fermement à droite.

Lire aussi , « Classe sans risque », Le Monde diplomatique, octobre 2017.En bref, Jean d’Ormesson, qui fut un commentateur politique multimédia persévérant, ami de Nicolas Sarkozy et en général des puissants, se revendiquant d’une « droite gaulliste mais européenne » mais avec « beaucoup d’idées de gauche », sans autre précision, soutien de François Fillon mais votant Emmanuel Macron au deuxième tour, parce qu’élégamment dégagé de toute idéologie enfermante, représentait le goût de la France pour le bonheur, à l’opposé des tristes, des pédants, de cette armée de « on » englués dans le sérieux de leurs convictions, et qui basculeraient vite dans la mise en procès de ceux qui préfèrent l’art de vivre : quoi de plus important, pour un mortel, que la fragile « quête du bonheur », merveilleusement individuelle, au-dessus des passions tristes, vouée à l’essentiel, éternelle et intemporelle, détachée des contingences matérielles ? Ce qui n’empêche pas, bien au contraire, la profondeur, mais elle reste discrète : « Nous entrerons dans le secret de cette âme qui s’est si longtemps prétendue incrédule pour comprendre qu’elle ne cessa d’embrasser le monde avec une ferveur mystique, débusquant partout, au cœur de son ordre improbable et évident, ce Dieu, au fond si mal caché, dont vous espériez et redoutiez la présence et qui, peut-être, dans quelque empyrée, vous dit enfin : “La fête continue.” » Car que serait « l’esprit français » s’il n’y avait, au fin fond, la quête de Dieu ? On se demande ce qu’aurait répondu le très insolent Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais, le créateur du Barbier de Séville, un nommé Figaro…

Ce serait donc là l’ensemble de raisons qui ont valu à Jean d’Ormesson de recevoir l’hommage de la nation : il en aurait symbolisé la meilleure part. Il est difficile et de ne pas éprouver quelques doutes, et de ne pas remarquer que ses qualités tant vantées sont de façon caractéristique, celles d’un temps et d’une classe fantasmés : un temps où les excès « partisans » n’auraient pas eu lieu — ceux de la Révolution et ses successeurs —, où l’on pouvait s’entendre entre gens d’opinions diverses mais de bonne compagnie, une classe qui… a la classe, c’est-à-dire, pour ceux qui n’en font pas partie mais qu’elle fait rêver, l’élégance de la bonne éducation, l’insolence feutrée de qui sait qu’il détient les clefs du bon goût, et les repères et valeurs traditionnels des notables, sur lesquels il convient de ne pas s’appesantir, comme le ferait un petit bourgeois. À droite, mais pas trop. Croyant, mais en supplément d’âme. Brillant, mais à portée de tous. Lettré, mais sans excès. Le peuple autrefois a suivi le cercueil de Victor Hugo, qui avait su écrire une de ses plus belles légendes avec Les Misérables, et n’avait pas craint, très progressivement certes mais une fois le choix fait, avec puissance, de choisir son camp. Aurait-on les symboles qu’on mérite ?

Le taylorisme à la mode hippie

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« Alienation and Dehumanization in Technological Society »
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Le capitalisme numérique moderne, avec sa promesse de communication instantanée et permanente, n’a pas fait grand-chose pour nous débarrasser de l’aliénation (1). Nos interlocuteurs sont nombreux, notre divertissement illimité, la pornographie se télécharge vite et en haute définition. Pourtant, notre quête d’authenticité et de sentiment d’appartenance, aussi dévoyée soit elle, persiste bel et bien.

Au-delà des remèdes accessibles et évidents à notre crise d’aliénation : plus de bouddhisme, plus de méditation, plus de camps de désintoxication Internet, l’avant-garde numérique du capitalisme contemporain a envisagé deux solutions, respectivement inspirées de John Ruskin et d’Alexis de Tocqueville.

La première consistait à étendre la philosophie du mouvement Arts & Crafts, en célébrant la conception artisanale et romantique de John Ruskin, William Morris et leurs associés, au point de les introduire dans le royaume des imprimantes 3D, des graveurs laser, et des fraiseuses numériques.

Les fab labs et autres ateliers de fabrication numérique (de l’anglais makerspace) étaient censés fournir un refuge loin de l’aliénation du travail de bureau moderne, tout en rendant les moyens de production aux travailleurs. « Il y a quelque chose d’unique à fabriquer des objets, médite Mark Hatch, le PDG de TechShop dans son Maker Movement Manifesto, publié en 2013. « Ce sont comme des petits morceaux de nous-mêmes qui semblent incarner des parties de notre âme. »

Lire aussi , « Illusoire émancipation par la technologie », Le Monde diplomatique, janvier 2013.L’approche tocquevillienne consistait à utiliser des outils numériques pour faciliter les réunions de groupe dans le monde réel, de manière à inverser les tendances décrites par Robert Putnam dans son best-seller Bowling Alone. L’idée était que les réseaux sociaux permettraient aux gens de trouver des enthousiastes qui leur ressemblent, de former des groupes propices à l’avènement d’une société civile dynamique, selon l’idéal d’Alexis de Tocqueville.

Meetup.com, une plate-forme numérique créée au début des années 2000 pour faciliter les rencontres en chair et en os, en est un bon exemple. « Nous subvertissons la hiérarchie », proclamaient ses fondateurs, déclarant que même les membres d’organisations formelles ne devraient pas avoir besoin de l’approbation de leur direction pour se retrouver et discuter. S’inspirant de Bowling Alone, ils ont lancé un site qui a joué un rôle important dans le mouvement de soutien au candidat démocrate Howard Dean pendant les élections présidentielles américaines de 2004. Meetup.com a également contribué à l’émergence du Mouvement 5 étoiles (Movimento 5 Stelle, M5S) en Italie. Aujourd’hui devenu parti politique, ce mouvement populiste n’était il y a dix ans qu’un petit groupe de citoyens en colère en quête d’outils de mobilisation sociale.

Que sont devenues ces deux approches ? Celle de John Ruskin a rencontré quelques difficultés, car de nos jours la distinction entre l’artisanat et la gentrification est assez floue. Les ateliers de fabrication numérique ont été très utiles à certains employés du capitalisme cognitif épuisés par leur travail de bureau abrutissant, mais ils ont aussi suscité la colère de ceux qui n’avaient pas la chance d’occuper des postes si enviables.

Prenons l’exemple de la Casemate, un fab lab basé à Grenoble, qui a récemment été brûlée et saccagée. Dans un communiqué publié sur le site Internet Indymedia, un collectif anarchiste revendique l’acte de sabotage en fustigeant les gestionnaires des villes qui ne pensent qu’à attirer les « start-ups avides de fric » et les geeks. La grande révolution des « makers » (« faiseurs » en français), prédite il y a quelques années par le Techshop de Mark Hatch, a déjà commencé à dévorer ses propres enfants : le 15 novembre dernier, Techshop a déposé le bilan.

La solution Tocquevillienne, quant à elle, se trouve dans une situation plus complexe. Fin novembre, le réseau social Meetup.com annonçait son rachat par WeWork, une start-up à 20 milliards de dollars qui conjugue la gestion de données personnelles et de biens immobiliers pour offrir, selon ses propres termes, « de l’espace à la demande », la dernière variante en date des classiques de la technologie moderne comme les « logiciels à la demande » ou des « infrastructures à la demande ».

Forte d’investisseurs comme Goldman Sachs ou la multinationale japonaise SoftBank — qui lui a versé 4,4 milliards de dollars en août dernier —, WeWork est bien plus qu’un simple réseau de 170 bâtiments répartis dans 56 villes et 17 pays. Non seulement sa valeur excède celle de Boston Properties, le plus grand groupe immobilier commercial coté en bourse, mais elle est plusieurs fois supérieure à celle des groupes qui possèdent bien plus d’espace.

WeWork doit sa réussite à son statut de plate-forme technologique dans la veine d’Uber et Airbnb. La logique est très simple : grâce à son développement rapide, elle peut extraire et analyser des données relatives aux usages directs ou indirects des espaces loués (« les bâtiments sont des ordinateurs géants », peut-on lire sur son blog). Elle peut se servir des données pour proposer aux locataires une grande flexibilité en termes d’espace, de fourniture et de conditions de location.

Cependant, la valeur de WeWork suggère que sa domination ne se limitera pas au secteur de l’immobilier, mais s’étendra à celui des services. Par exemple, en utilisant les données pour aider leurs clients à modifier et gérer leur espace de travail. La jeune start-up parie sur le fait que la gestion de l’espace et de l’immobilier, comme « l’informatique en nuages » naguère, deviendront bientôt un service proposé par une poignée de plates-formes gourmandes en données.

Éperonnée par un récent afflux de liquidités, WeWork se développe tous azimuts. Elle a créé des lieux de vie qui permettent de louer un appartement juste au-dessus de son lieu de travail, ainsi qu’un centre de sport et bien-être avec sauna et salle de yoga. Elle a acheté une école d’informatique qui s’avérera très utile si ses futurs membres doivent apprendre à coder. Elle a aussi annoncé l’ouverture prochaine d’une école élémentaire dans ses locaux de New-York, où les élèves seront traités comme des « entrepreneurs nés », afin que leurs parents débordés voient davantage leurs enfants — sur leur lieu de travail.

Lire aussi Stéphane Haefliger, « La tentation du “loft management” », Le Monde diplomatique, mai 2004. Sa principale innovation réside cependant dans son image de marque. Rares sont les entreprises de la Silicon Valley qui n’arborent pas d’intentions humanitaires, mais WeWork n’y va pas de main morte. « Notre valeur et notre taille actuelles, a récemment déclaré son co-fondateur Adam Neumann au magazine Forbes, s’expliquent bien plus par notre énergie et notre spiritualité que par le nombre de zéros de notre chiffre d’affaires. »

Cet homme d’affaires d’origine israélienne, qui a grandi dans un kibboutz, souhaite réaliser un projet hors du commun : un kibboutz high-tech qui ne s’encombre pas d’un égalitarisme imprégné de socialisme : « Nous construisons un kibboutz capitaliste », déclarait-il au journal Haaretz en juillet. L’ambition utopique de WeWork vise l’utilisation des big data — et non l’égalitarisme des premiers kibboutz — pour résoudre les problèmes professionnels ainsi que ceux de la vie moderne en général. L’aliénation, dans cette perspective, n’est pas une caractéristique intrinsèque du capitalisme mais un simple bug, que quelques données de plus suffiront à corriger. Et quelle meilleure manière de le faire que de dissoudre les vies hors-travail des individus dans leur vie au-travail ? Le kibboutz capitaliste alimenté en données se chargera de vous accueillir par votre prénom et de vous souhaiter un bon anniversaire.

Dans un entretien récent, Eugen Miropolski, cadre chez WeWork, explique que la start-up se donne pour mission de « créer un monde où les gens travaillent pour vivre, et non simplement pour gagner leur vie ». Alors qu’auparavant « les citadins se rassemblaient dans des mairies, des bars, des cafés et des espaces publics pour débattre des sujets du jour », WeWork aspire à créer « un lieu où les gens puissent se retrouver, parler, échanger des idées nouvelles et innover de manière collaborative. »

Ainsi, conclut Eugen Miropolski, « l’immobilier n’est qu’une plate-forme pour notre communauté ». La priorité, c’est d’optimiser tout le reste (crèches, salles de yoga, etc.), grâce aux génies des données qui travaillent pour WeWork. L’espace public, après avoir été privatisé à vue d’œil au cours des dernières décennies, est enfin rendu aux citoyens. À ceci près qu’il nous revient sous la forme d’un service commercial fourni par une entreprise numérique généreusement financée, non comme un droit fondamental pour tous.

L’approche de Tocqueville semble s’être essoufflée d’elle-même. Les membres de la société civile de Meetup continueront de discuter, mais à l’intérieur des locaux appartenant à WeWork. Et pour lutter contre l’aliénation, il faudra désormais analyser encore plus de données et tourmenter les esprits déjà torturés des travailleurs de l’économie cognitive qui, voulant échapper à leur lieu de travail aliénant, se réfugient dans le confort des ateliers de fabrication numérique et des réunions en face-à-face, pour découvrir que ces nouveaux espaces professionnels ont fini par envahir leur vie personnelle.

Lire aussi , « Le travail à la chaîne est-il mort ? », Le Monde diplomatique, septembre 2016.Si Frederick Winslow Taylor a dû déployer des efforts considérables pour extraire le savoir-faire des ouvriers dans les usines, WeWork repose sur une extraction des données omniprésente et permanente qui passerait presque inaperçue, car elle ne fait pas de distinction entre le domaine professionnel et les autres. Tandis qu’à la fin des années 1960, des intellectuels de gauche mettaient en garde contre l’émergence de « l’usine sociale », un monde où le travail et la logique de domination et de surveillance propres à l’usine contamineraient la société en général, WeWork suggère que le phénomène inverse est en train de se produire : la société est ramenée à l’intérieur de l’usine d’aujourd’hui, soit le bureau moderne, mais dans des conditions qui ressemblent à s’y méprendre au paradigme tayloriste.

Ces startups ont beau avoir des allures hippies, les processus sous-jacents n’en restent pas moins tayloristes. Le rachat de Meetup par WeWork initie une nouvelle phase dans la lutte contre l’aliénation : l’approche tocquevillienne a fait place au taylorisme hippie.

Peur des revenants au Sahel

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L’instabilité au Sahel affecte le tourisme du désert en l’Algérie
cc Magharebia

L’Afrique a toujours du mal à mettre en œuvre des forces de paix « indigènes », dans un cadre régional, et encore plus à une échelle continentale, au point de se reposer encore largement sur les missions de l’ONU, ou sur les opérations militaires françaises quand il y a urgence. Il y a pourtant des progrès dans la responsabilisation de certains acteurs africains du maintien de la paix, comme le souligne Hugo Sada (1) dans une note publiée en novembre dernier, dans le cadre de la quatrième édition du Forum international de Dakar sur la paix et la sécurité en Afrique.

Ainsi, le sommet de l’Union africaine en juillet 2016 a ratifié l’objectif d’un financement par les États africains de 25 % du coût des opérations africaines de paix, notamment à travers la création d’un fonds africain pour la paix qui serait alimenté par une taxe de 0,2 % sur les importations — objectif qui est régulièrement rappelé depuis. L’avenir, selon Sada, est à des déploiements plus rapides, des mandats plus offensifs, et des coûts moindres que dans le système onusien (2).

Pleine capacité

Ce sera sans doute le profil de la force régionale du « G5 Sahel », lancée en 2017. Elle rassemble le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad — cinq pays frappés par les attaques de groupes djihadistes : ces derniers font régner la terreur dans les confins désertiques de ces pays, mais aussi dans leurs capitales et grandes villes, par des attentats et autres exactions de type terroriste.

Imaginée sur la lancée des engagements militaires tchadiens au nord-est du Nigeria (contre Boko Haram) et au nord du Mali (aux côtés des Français), l’opération conjointe des cinq États sahéliens a pris forme cette année après plusieurs réunions de haut niveau, puis la création d’un état-major intégré installé à Sévaré, au Mali, et enfin le lancement fin octobre d’ une première opération baptisée « Hawbi », dans la zone fes « trois frontières » (nigéro-burkinabé-malienne). La force G5 Sahel devrait atteindre en principe sa pleine capacité opérationnelle à partir de mars prochain. A terme, elle pourrait comprendre jusqu’à 5000 hommes.

Lire aussi , « Le Tchad, puissance de circonstance », Le Monde diplomatique, juin 2016.Pour une fois, les obstacles politiques semblent levés — à l’exception peut-être de l’agacement du Sénégal, qui aurait voulu être associé plus étroitement à cette initiative régionale. Le G5 Sahel a en tout cas reçu la bénédiction de l’Union africaine, ainsi que le feu vert de principe de l’ONU, à travers la résolution 2359 (mais sans engagement financier à ce stade). Et, bien sûr, l’encouragement français. Le Tchad, bien qu’économiquement exsangue, s’en veut moteur sur le plan militaire, grâce à son armée particulièrement aguerrie, qui a fait ses preuves à nouveau ces dernières années sur les terrains malien ou nigérian, et en a payé le prix du sang.

Génération difficile

Mais, « s’agissant de pays qui font partie des plus pauvres de la planète, générer une force à partir de leurs propres armées, qui manquent déjà beaucoup de moyens, est d’autant plus difficile », reconnaît le général Bruno Guibert, commandant depuis juillet dernier de la force française « Barkhane », que le G5 Sahel pourrait remplacer dans un terme plus ou moins lointain. En attendant, il manque à ces armées sahéliennes — et donc à cette force régionale en cours de « génération » — des outils de combat majeurs, des moyens de renseignement, de mobilité tactique, et de soutien du combattant, pour être en mesure d’agir efficacement sur un territoire d’environ sept millions de km2 (douze fois la superficie de la France).

Sur les 250 millions d’euros envisagés nécessaires dans un premier temps pour démarrer cette force, 108 millions ont été promis dès la mi-novembre : 50 au titre des contributions des États-membres du G5 ; 50 de la part de l’Union européenne ; et 8 en dotations d‘équipement de l’armée française. S’y ajoutent 60 millions de dollars attribués par le gouvernement américain aux pays-membres du G5, sous forme bilatérale. Le reliquat devrait être trouvé en écho à la « réunion de soutien » au G5 organisée ce 13 décembre à la Celle Saint-Cloud, près de Paris (3). A cette occasion, le gouvernement saoudien, par la voix de son ministre des affaires étrangères, a confirmé vouloir appuyer le G5 Sahel à hauteur d’une centaine de millions de dollars.

Ayant fait valoir que la sécurité au Sahel conditionne en partie celle de l’Europe, la France milite pour une implication plus significative de ses partenaires européens, cantonnés jusqu’ici à une prise en charge de la formation des unités de l’armée malienne, ou à des soutiens opérationnels ponctuels — à l’exclusion de toute mise en oeuvre d’une capacité offensive. Paris préconise aussi une prise en charge plus active de la sécurité au Sahel par les forces armées nationales, alors que, de son côté, la force des Nations unies au Mali (Minusma), faute d’un mandat plus robuste, reste relativement impuissante, avec des pertes qui en font, selon Macky Sall, président du Sénégal, « la force de paix la plus meurtrie de l’histoire du continent ».

À flux tendus

Le G5 Sahel a d’ailleurs été créé en décalque africain de la force Barkhane, actuellement déployée à l’échelle de ces cinq pays. Le format actuel de l’opération française est de 4 500 hommes, sur un territoire grand comme l’Europe, avec 500 véhicules, une cinquantaine d’aéronefs de tous types, une douzaine d’implantations, et une logistique à flux tendu — le tout commandé depuis N’Djamena (Tchad). C’est tactiquement insuffisant, mais ne risque pas d’être revu à la hausse, ne serait-ce que pour des raisons budgétaires, mais aussi finalement politiques : il ne faudrait pas que « l’empreinte » des militaires français soit trop voyante…

Reste que, trois ans après sa création, Barkhane marque le pas : l’adversaire, bien que limité en nombre — moins d’un millier d’hommes —, s’est dilué en une myriade de groupes et commandos composés de quelques hommes, difficilement identifiables, qui s’attaquent aux points faibles (casernes de gendarmes, unités de la Minusma, bus civils, etc. (4)), si bien que l’insécurité a gagné des régions jusque-là épargnées, comme le centre du Mali. Alors qu’une élection présidentielle est prévue l’an prochain au Mali, et que les accords de paix signés à Alger et à Bamako en 2015 ne sont que très partiellement appliqués, le général Guibert relève que « tout le monde n’a pas forcément intérêt, au Mali principalement, de voir les accords d’Alger mis en œuvre : vous avez une collusion, manifeste bien souvent, une porosité entre les groupes armés signataires de l’accord et les groupes terroristes ».

Contrôle de zone

Pour ces raisons, et aussi parce que Paris ne souhaite pas donner l’impression que l’armée française est appelée à stationner éternellement dans ces parages, le mode d’intervention de Barkhane est appelé à évoluer : après les opérations antiterroristes « coups de poing » montées à partir de bases, contre des groupes ravitaillés depuis le sud de l’Algérie ou de Libye, on passerait à une « opération de contrôle de zone sur la durée », avec :

plus de mobilité, mais dans des secteurs plus ciblés ;

transfert accéléré aux autorités maliennes ;

action mieux coordonnée des militaires avec l’ensemble des opérateurs (administration, développement, humanitaire), dans le cadre d’une approche « beaucoup plus interministérielle et globale », comme plaide le général Bruno Guibert ;

recours, lorsqu’ils seront disponibles (2018-19), à des drones armés (5).

Après la mort de plusieurs de leurs soldats dans une embuscade à Tillabéri, au Niger, les Américains — qui disposent d’une importante base de drones d’observation mis en œuvre à partir de Niamey, au Niger, et à la fin de l’année prochaine à partir d’Agadez, au nord du pays — ont également décidé en octobre dernier de doter ces aéronefs de missiles (comme c’est déjà le cas pour les drones déployés dans leur base à Djibouti). Pour eux, la mise en œuvre des drones armés sera donc beaucoup plus rapide que pour les Français.

Lire aussi , « Le djihadisme sous la loupe des experts », Le Monde diplomatique, décembre 2017.Cette escalade militaire peut rassurer des gouvernements, puisqu’elle permet un traitement en temps réel de la probable ou supposée menace ; mais elle inquiète aussi certains observateurs qui s’interrogent sur la militarisation du Sahel depuis le déclenchement en 2013 de l’opération Serval, ses faibles résultats « techniques » et ses possibles retombées politiques : « Des drones armés français et américains dans le ciel ouest-africain, ca vous rassure ? », demande par exemple dans une tribune récente sur le site Wathi Gilles Yabi, ancien animateur du bureau Afrique de l’Ouest de l’International Crisis Group (ICG).

« Tout se passe, écrit-il, comme si les modalités de la guerre contre le terrorisme sous pilotage stratégique extérieur ne pouvaient pas s’avérer aussi dangereuses pour les perspectives de paix et de sécurité en Afrique de l’Ouest que le mal terroriste qu’elle est censée traiter. Est-ce une si bonne nouvelle pour les populations des pays sahéliens, qui vivent pour leur majorité dans des conditions économiques, sociales et environnementales spartiates, de savoir que leurs territoires seront survolés par des engins volants pilotés à distance capables d’éliminer à tout moment des ennemis choisis souverainement par Paris ou Washington DC ?

Lequel des États de la région est capable de fixer des lignes rouges à ne pas dépasser à ses partenaires américains et européens dans le déploiement de leurs actions offensives ? », poursuit Gilles Yabi, qui s’inquiète des « dommages collatéraux » créés au sein de la population par les tirs plus ou moins ajustés de ces robots-tueurs, qui deviendraient autant d’arguments en faveur de la propagande et du recrutement des groupes djihadistes du Sahel.

Quel baptême… en avion

Dernièrement, j’ai fait un stage de pilotage d’avion à Narbonne. Je n’avais encore jamais essayé, et je comprends mieux pourquoi tant de gens dépensent des fortunes là-dedans : les sensations qu’on a à bord d’un avion sont vraiment géniales. On est si accoutumés aux avions de ligne qu’on ne sait plus vraiment, de nos jours. Mais dans un petit appareil, on retrouve enfin les sensations de vol ! Et je crois que cette différence de sensations peut parfaitement s’appliquer au macrocosme de l’entreprise. Quand on travaille au sein d’une grosse société, on a tendance à perdre de vue l’essentiel. Et ça peut provoquer des dégâts. Prenez l’exemple d’Altice qui n’arrive plus à sortir du marasme dans lequel elle s’est enfoncée. Plus d’un million d’abonnés ont quitté SFR depuis 2014, et ce n’est probablement pas fini. Son patron a beau s’agiter autant qu’il veut pour sauver les meubles, la dette du groupe Altice ne va pas aller en s’arrangeant. SFR a tout simplement trop agacé ses clients en décidant d’élévations de tarif sans même les prévenir, et ceux d’entre eux qui ne sont pas encore partis doivent être en train d’étudier les offres des autres opérateurs… En essayant de colmater la brèche, Drahi a dit une chose très intéressante : qu’ils devaient se recentrer sur « les petits détails ». Cette simple constatation confirme que les grandes entreprises oublient le principal, en l’occurrence ces fameux « petits détails opérationnels ». Par exemple, les mecs qui se sont dits que ce serait une bonne idée d’imposer de force une option payante à leurs clients vivent complètement déconnectés du réel. C’est la même chose pour les banques qui vous imposent de prendre des options payantes pour obtenir le moindre truc, et qui déplorent ensuite que les clients fuient progressivement vers les banques en ligne. Ces grandes entreprises, en devenant aveugles aux évidences, se pourrissent elles-mêmes. Et c’est bien dommage, car ce sont les mêmes qui, à la base, étaient bien parties pour durer ! Quoi qu’il en soit, si vous aimez les expériences originales, je vous invite vraiment à essayer le pilotage d’avion. Voici le site auquel j’ai fait appel pour mon vol. Davantage d’information est disponible sur le site de l’agence de voyage de ce pilotage en avion à Narbonne. Cliquez sur le lien.

Rêve en cuisine

Si vous vous demandez si la téléréalité influence les comportements, je peux vous donner une réponse claire et simple : oui. J’en suis la preuve vivante. Je le sais car Cauchemar en cuisine a eu une très mauvaise influence sur moi. Alors que je me contentais jusqu’à une période récente de plats surgelés, voilà que je me suis mis à cuisiner. Pire : j’ai participé cette semaine à mon premier cours de cuisine à Lille, et je dois dire que je n’ai pas été déçu par l’expérience. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais je m’attendais tout de même à quelque chose d’assez guindé. Mais au contraire, l’ambiance s’est avérée être très conviviale. Il faut dire que nous étions en petit comité : nous étions 4 à participer. Le chef était donc disponible pour chacun de nous et nous expliquait les choses très simplement, de sorte que je n’ai pas été perdu un instant. Je craignais surtout de me retrouver entouré par des experts qui sauraient tout faire mieux que moi. Mais à part une personne qui avait l’habitude de cuisiner, les autres participants étaient plutôt comme moi, et certains même moins doués que moi. Et tout ça n’avait finalement pas d’importance. Parce que pendant l’atelier, personne ne jugeait le travail des autres. Au contraire même, nous nous entraidions de temps à autre pour préparer une sauce ou aider à la cuisson. Le chef suivait notre travail attentivement, mais pas comme un examinateur. Il nous donnait plutôt de petits conseils pour nous faciliter la vie en cuisine. Nous étions tellement pris par notre travail qu’aucun de nous n’a vu le temps passer. Une excellente expérience, au final ! Je dois dire que cuisiner dans ces conditions, c’est un pur régal : les cuisines étaient spacieuses, nous avions à disposition d’excellents produits et tous les outils imaginables. A tel point que j’ai un peu déprimé en retrouvant ma minuscule cuisine ! J’ai ainsi pu confectionner un carpaccio de coquilles Saint-Jacques qui aurait été bien au-delà de mes compétences avant ce cours. Si vous êtes un cuisinier médiocre comme moi, je vous recommande de tenter l’aventure. Ce cours de cuisine m’a fait passer à un tout autre niveau en quelques heures. Je pense même que je vais en refaire un autre dès que possible, histoire d’entretenir la flamme. Je vous laisse le lien vers le site spécialiste de cette expérience de cours de cuisine gastronomique à Lille.

Nouvelles substances psychoactives: consommation problématique dans les populations marginalisées

En 2016, l’EMCDDA a étudié la consommation des nouvelles substances psychoactives chez les usagers problématiques. Il a ainsi été constaté que, si les niveaux de consommation étaient généralement faibles en Europe, les habitudes de consommation étaient associées à de nombreux problèmes. Une majorité de pays européens (22) a signalé la consommation de nouvelles substances psychoactives au sein de groupes d’usagers problématiques, bien qu’un usage plus intensif parmi les consommateurs d’opiacés et de stimulants par voie intraveineuse se soit limité à la Hongrie et à certaines régions du Royaume-Uni. Des cas d’injection de cathinones de synthèse ont été signalés dans la moitié (15) des pays, la substance consommée variant souvent d’un pays à l’autre: méphédrone au Royaume-Uni, alpha-PVP en Finlande, pentédrone en Hongrie et 3-MMC en Slovénie, par exemple. La consommation de cannabinoïdes de synthèse par voie fumée dans les populations marginalisées, y compris chez les sans-abri et les détenus, est un problème émergent qui a été observé dans deux tiers environ des pays européens. En Europe, rares sont les patients qui entament actuellement un traitement pour des problèmes liés à la consommation de nouvelles substances psychoactives, mais une sous-déclaration dans ce domaine est probable. En 2015, quelque 3 200 patients, soit moins de 1 % des personnes ayant entamé un traitement spécialisé pour consommation de drogues en Europe, ont déclaré que ces substances leur posaient des problèmes. Au Royaume-Uni, environ 1 500 patients ayant entamé un traitement (soit environ 1 % de tous les patients admis pour un traitement lié à la consommation de drogues) ont indiqué que les cathinones de synthèse étaient les substances qui leur posaient le plus de problèmes. La Hongrie et la Roumanie signalent également un nombre relativement élevé de consommateurs de nouvelles substances psychoactives ayant entamé un traitement pour usage de drogues.